Quatrième scène de l'e-book Aurore-Marie ou une étoffe Nazca non retenue par les Editions de Londres.
Hollywood,
1943. Plateau de tournage du mélodrame The
Constant Nymph (Tessa, la Nymphe au cœur fidèle) d’Helmut Goulding, d’après le roman de Margareth Kennedy, avec Deanna-Shirley De Beaver de
Beauregard, Charles Boyer et Peter Lorre.
La jeune
vedette avait des scrupules. Elle minaudait, comme à son habitude, dans sa
loge, rechignant à une énième prise, jugeant son accoutrement de gamine
attardée ridicule et peu seyant.
« Mister
Goulding, fit la blonde jeune femme roucoulante de son accent britannique
apprêté, ne croyez-vous pas qu’il est ridicule voire ambigu de faire
interpréter une fillette de quatorze ans par une jeune femme de vingt-cinq ? Ma
sœur Daisy Belle – que je la déteste, celle-là ! – en pouffe de rire.
Heureusement qu’elle n’est pas là pour me voir aux prises avec les habilleuses
et les maquilleuses lorsque je suis contrainte d’enfiler ces oripeaux !
Des tresses, des pigtails avec des rubans,
franchement ! Et cette robe qui ne ressemble à rien !
- Vous étiez
physiquement la seule à correspondre au casting, répliqua d’un ton coupant le director. La Warner l’a voulu ainsi.
- Mais je
suis simplement prêtée, pas sous contrat…
- C’est le star system, ma chère. Avec un tel rôle
de composition, vous serez une nouvelle fois oscarisable.
- Daisy
Belle va en crever de jalousie : elle attend encore la statuette tandis
que moi, j’en détiens déjà une ! Alors, pourquoi pas deux…
- D’un, vous
n’êtes pas grande ; de deux, votre silhouette est fluette ; de trois
…
- Me
reprocheriez-vous de manquer de
coffre ?[1]
De plus, il me semble que vous bravez le code Hays… Après tout, je joue une
mineure, un vert tendron amoureux d’un homme mûr…
- Billy
Wilder a passé tous les obstacles de la commission de censure avec son Uniformes et jupons courts l’an passé…
- Ah oui,
Susu ! Mais Ginger Rogers, c’était différent : il s’agissait d’un
travestissement pour payer le train moins cher, tandis que moi…
- On ne
discute pas à Hollywood sauf lorsqu’on est membre de la Screen Actor Guild…
- Il
n’empêche ! Si vous saviez à quel roman peu recommandable mon rôle me fait
penser ! Figurez-vous que George Cukor – vous connaissez son inversion, je suppose – lorsqu’en 39,
j’ai tourné pour lui dans Femmes, a
eu le culot de me faire visiter sa bibliothèque bourrée d’ouvrages licencieux
et libertins. Il m’a montré en particulier un roman saphique notoire de la fin
du XIXe siècle, Le Trottin, écrit par
une certaine Aurore-Marie de Saint-Aubain, qu’il m’a décrite comme une
lesbienne portée sur les gamines pré-pubères, un peu dans le genre de Tessa.
J’ai eu la hardiesse de feuilleter le bouquin, non pas que je sois portée sur
cette déviation qui me répugne, mais à titre de curiosité. C’était une
traduction d’Oscar Wilde, sans tabou, sans inhibition victorienne. J’ai eu
l’impression de me reconnaître en partie dans le personnage principal, la
comtesse Cléore de Cresseville ! Celle-ci, je n’ose le dire, se
travestissait en fillette de douze ans et faisait enlever des gamines qu’elle
éduquait de manière qu’elles acquissent son
orientation… je vous passe les scènes les plus osées… C’était d’une
confondante dépravation, avec un soupçon de sadisme et de gothique anglais. Et Adelia, la favorite de Cléore, son amante
de quatorze ans – comme Tessa ! J’en rougis de honte ! Sa description
ressemblait à s’y méprendre à un mélange anticipé de miss Vivien Leigh et de
miss Judy Garland ! Cheveux auburn,
yeux verts, jolie voix, nez retroussé… C’était à croire que cette détraquée de
la fin du XIXe siècle avait eu une vision prémonitoire des vedettes de notre
époque ! »
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