samedi 13 janvier 2018

Mon voyage à Paris de juillet 1976 : troisième épisode.



Cette journée promettait d’être encore longue. Elle ne faillit pas à ses promesses, alors que je fatiguais déjà, peu accoutumé à de si vastes musées. Nous déjeunâmes au restaurant du deuxième étage de la Tour Eiffel,
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 alors que les caprices du temps se manifestaient par d’étonnantes averses qui arrosaient un seul des côtés de la plate-forme ! Le restaurant grugeait les touristes car pas si fameux que cela, notamment cette terrine que maman m’avait commandée, d’une couleur identique à celle de mon Inca. J’eus par conséquent l’impression horrible de m’être transmuté en cannibale nécrophage, de dévorer la chair pourrie de ma momie, d’en éprouver les qualités gustatives. Je dissimulai ces sensations à mes parents. A chaque bouchée, je voyais la silhouette en position fœtale, les genoux saillants aux veines solidifiées, la chevelure d’ébène lustrée, asexuée. Je n’ai raconté à personne ces choses-là avant de les consigner par écrit.
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Nous fîmes à pieds encore une partie du trajet en direction des Invalides, passant par le Champ de Mars, l’école militaire et quelques boulevards, promenade digestive émaillée par l’entrée de pépé dans une pharmacie afin d’acheter une boîte de pastilles Rennie, puis de l’acquisition de mon k-way. Ayant enfin repris le métro, nous fîmes surface de nouveau sous la pluie, attendant que passât l’averse.
Nous avons autant survolé le musée de l’Armée que le reste.
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 Nous nous concentrâmes uniquement sur la période 1643-1850, sautant le Moyen-Âge,  la Renaissance, Napoléon III. Je vis un peu la partie 14-18 et 39-45, constatant qu’un « pyjama » sinistre de déporté des camps nazis était exposé. Je me suis extasié aux mannequins en uniformes anciens chamarrés, aux étendards, aux fusils, tout en ne comprenant pas pourquoi je manquais les armures, et surtout, ces fameux mannequins de guerriers francs, mérovingiens, qui illustraient le manuel d’Histoire de France de CM 2 du temps de Madame Lamy. 
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Face au tombeau de Napoléon, mes impressions demeurèrent mitigées : les transpositions en mineur du Ça ira  et de La Carmagnole firent irruption dans mon cerveau, leur invasion étant interprétable comme un symbole de la destruction de la Révolution par l’Empire. Et j’essayais de m’imaginer l’état de conservation du cadavre de l’Empereur, sachant que je venais de lire dans Le Journal de la France le récit de l’exhumation de 1840, lors du rapatriement des cendres. A ce moment, Napoléon ne s’était nullement décomposé. En 1976, qu’en restait-il ? 
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Il était tard ; nous gagnâmes les Champs Elysées. Nous nous enquîmes d’un restaurant. Je n’étais pas allé aux toilettes depuis le début de l’après-midi et le premier restau devait être le bon. Deux se faisaient face, s’opposant : à gauche, Pizza P. ; à droite Pizza R. Le combat de boxe était ouvert, et papa souhaitait faire plaisir à son géniteur en lui offrant l’occasion de manger italien à Paris. Je choisis d’entrer dans le restau de gauche, m’intéressant davantage aux W.-C. qu’à la table. Le dîner fut historique, digne du guêpier de la dictée de Mérimée à Sainte-Adresse. On se souvient parfois absurdement mieux de ce qui a déplu au palais que des plus fameux gueuletons. Les serveurs du lieu, je les ai surnommés les crétins en costume à carreaux avec des ceintures rouges. Ils avaient vu débarquer les péquenots marseillais en casquette du chapelier Felio et s’arrangèrent pour nous gruger avec des infections.
Il est d’ailleurs significatif que mes intestins me contraignirent, une heure après ce dîner, à me rendre aux waters du Grand Palais,
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 en pleine exposition Ramsès II en nocturne, pour une grosse commission. Je ne sus exactement si cet accident fécal brutal qui manqua souiller le bermuda vert clair que j’arborais ce jour avait été provoqué par ma terrine de momie du midi ou par les galimafrées périmées de Pizza P. Il était rare que maman apostrophât un serveur afin de lui dire que ce qu’elle bouffait était pourri : elle le fit, affirmant à un des crétins qui officiaient, amphitryons indignes : « Votre salami est faisandé. » Nous n’en étions pas à vouloir casser la figure du cicérone, mais des Espagnols firent preuve de plus de témérité que nous : ils et elles abandonnèrent leur repas, fiers comme Artaban, indignés, quittant la tablée et fichant le camp, sous l’œil médusé et désespéré d’un acolyte du crétin qui nous avait servi. Viande crue à l’appellation ronflante et alambiquée (gigot de je ne sais plus trop quoi), cœurs de palmiers en boîte à la fraîcheur compromise, pizzas en fait appartenant aux prototypes encore expérimentaux des versions surgelées de ce plat napolitain typique dont je tairai les marques d’époque, dures comme de la pierre au point que je vis Jocelyne, renonçant au couteau, s’en saisir à pleines mains et, au détriment de toutes les règles du savoir se tenir à table, mordre dans cette saloperie comme dans une galette rance. Je ne sus pas pourquoi, mais je m’étais méfié et je n’avais pas souhaité que papa me commandât une pizza. Je ne suis pas parvenu à terminer ma viande et la glace en dessert ne m’a pas consolé, cette montagne de plâtre balourde et indigeste baptisée pompeusement Stromboli ou Vésuve, dont le chocolat, trop fort, avait pour avantage de masquer la saveur douteuse comme les épices fortes, les aromates puissants, camouflent l’état avancé du gibier.


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L’heure était tardive, et les grandes artères touristiques parisiennes vivaient tard. Un Monoprix demeurait encore ouvert à plus de vingt heures trente ; ce fut là que j’acquis le tout premier roman de Philippe Ebly Destination Uruapan.
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 Des affiches étaient disséminées un peu partout, telles celles de ce terrain vague de tantôt, chantier traînant en longueur près de l’esplanade des Invalides, où pourrissait la pub d’un film que j’aurais voulu voir alors, après un extrait diffusé dans la Séquence du spectateur de Catherine Langeais, sans que j’obtinsse gain de cause : King Kong contre Godzilla.
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 Elles parlaient de l’exposition Ramsès II du Grand Palais,
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 à quelques mètres en face, en nocturne ce mercredi. Il était autour de vingt-et-une heures lorsque nous y entrâmes. Tout débutait avec des surfaces de velours rouge,
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 des parois tapissées d’écarlate, avec la statuaire des parents de Ramsès. Le bleu succéda au rouge, avec le somptueux mobilier funéraire pharaonique, le char de guerre reconstitué, les chaises et fauteuils, les armes, soldats miniatures de bois, les sandales même, tressées d’or, la reconstitution d’une salle d’hypogée au plafond constellé d’étoiles avec la représentation hallucinatoire de la déesse Nout et d’autres femmes, ailées celles-ci. Enfin, le velours se fit vert, avec, ultime pièce, le sarcophage de Ramsès.
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 Maman, pas en reste pour exprimer des idées morbides, demanda si la momie n’était pas exposée. Je la connaissais quant à moi par le film de l’automne 1972, où Béatrice et ses copines avaient hurlé de peur. Nous la revîmes à la télé, chef d’Etat mort, reçu avec solennité par la République afin qu’on le soignât au cobalt des moisissures menaçant de l’anéantir, en octobre-novembre 1976.
La visite s’acheva aux cabinets, sur fond de reproductions d’anciennes photos prises par des égyptologues des années 1855-56, clichés où les pyramides de Gizèh tenaient la vedette. Le lendemain fut un autre jour ; je me dois donc d’accélérer.
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(à suivre...)

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