mardi 6 décembre 2016

Cybercolonial 2e partie : Du rififi à Kakundakari-ville chapitre 18 3e partie.



An 1941 de l’Hégire.
Le Sultan Radouane, souverain de Mossoul, une chicha dont l’eau chaude était aromatisée au jasmin et à la fleur d’oranger à la bouche, embaumant l’immense aula, s’accrochait avec son hôte non désiré. Stoïque, ce dernier ne cédait pas un pouce de terrain à l’humain.
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Le prince marquait son mécontentement devant l’apparence de son interlocuteur. Il était offusqué.
- Pourquoi t’obstines-tu à revêtir cet aspect qui me fait songer aux éphèbes promis au paradis ?
-Tu vois le mal là où il ne se trouve pas. Ton esprit est marqué par la déviance. Cela vient sans doute de tous les interdits que tu as subis dans tes jeunes années. C’est toi qui me vois ainsi, c’est toi qui m’appelles pour que je vienne sous cet aspect.
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- Je me trahis… selon les sacrés préceptes du saint Livre, il m’est interdit de te représenter et de t’imaginer. Cependant, mon entendement est incapable de te donner une autre forme que celle humaine. Une boule de feu, une langue enflammée, un éclair, cela a été déjà fait.
- Sors-moi le buisson ardent tant que tu y es, ricana Dan El. Sache, ô seigneur, que le dieu iconique barbu et vénérable est mort à jamais, victime d’une anthropomorphisation excessive et naïve. Si j’avais voulu t’épouvanter, je serais venu à toi sous l’aspect d’un embryon humain disproportionné, une simple virgule de chair en formation, pourvue d’un cœur sommaire, un simple tube, battant déjà.
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- Une telle description ? Je n’en vois pas la raison, répliqua Radouane.
- Pourtant, je ne le fais pas innocemment. Tout d’abord, j’ai souvenir de ce stade-là de mon existence.
- Comment ? N’es-tu pas éternel ? On ne peut t’avoir créé. Il n’y a de Dieu que Dieu…
- Epargne-moi les versets et la profession de foi de tout bon musulman.
- Ceci est notre premier commandement. Tu es bien unique, non ?
- Oui, bien sûr. Mais pour en revenir à ce que je te disais tout à l’heure, la deuxième raison est inscrite dans ta foi. Tes semblables croient en effet que l’être humain est déjà préformé dans la semence. L’homuncule spermatique loge dans la tête du spermatozoïde. Risible et tragique à la fois. Tu comprends, seigneur Radouane que je ne puis approuver une religion qui considère que la femme est un simple réceptacle de la semence mâle. Tes théologiens se trompent grandement. Ce n’est pas moi qui me suis arrangé pour qu’il y ait deux sexes. La Nature a compris que c’était la seule façon de permettre à la complexité de se perpétuer. Je me suis contenté d’impulser l’énergie primordiale. Après, j’ai laissé faire…
- Mais, bégaya le prince. Le hasard ? cela ne se peut. Tu profères une hérésie.
- Quoi ? Tu m’accuses, moi, le Créateur de la Source de la Vie ?
- Comment peux-tu te souvenir de ton état embryonnaire ? Dieu est de toute éternité. Il n’a ni commencement ni fin.
- Il a pourtant existé un instant où je n’étais pas encore assemblé, où mon intelligence était dispersée… ce n’est que par ma volonté que je suis parvenu à regrouper ce qui me constitue. Je réprouve la courte vue des laudateurs des trois religions monothéistes qui, à l’esprit, privilégient la lettre. Ce défaut est à l’origine de trop nombreux conflits, pogroms, persécutions et assassinats de masse. Comment ta religion qui encouragea l’instruction et les sciences, qui fit qu’autrefois de grands philosophes, de grands médecins et de grands astronomes brillèrent au firmament de l’intelligence et firent que ta civilisation devança celle des Roumis ainsi que tu les nommes, comment régressa-t-elle à ce point ? Parce que les tiens se sentaient menacés ? Parce que tes ancêtres se sont enfermés dans la haine et le rejet de l’autre ? Parce qu’ils ne partagèrent pas leurs connaissances avec la masse qu’ils confinèrent dans l’ignorance ? Pour conserver le Pouvoir ?
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- Il y a de tout cela, sans nul doute. Il est exact que la science arabe fut à un cheveu de mettre à bas le Système de Ptolémée et de découvrir le mécanisme de la circulation sanguine. Mais ton procès, Seigneur, est un mauvais procès. Je suis, moi aussi, une victime, un descendant de ces survivants obligés de dissimuler leur savoir. Toutefois, je me dois de te rappeler que d’autres civilisations se sont sclérosées. Rome négligea la technique et la science grecque à force de déconsidérer le travail manuel. A quoi bon inventer des machines dans un monde où les esclaves abondent et suffisent à la tâche ?
- De même la Chine, compléta Dan El. Elle s’enferra dans le confucianisme, vivant dans un splendide isolement philosophique. Elle se retrouva mise hors-jeu par un Occident qui laïcisa la Science.
- La phrase du Franc Laplace à l’Empereur Napoléon, ce dernier l’avait questionné sur l’hypothèse de Dieu dans les découvertes astronomiques, l’astronome lui avait alors répliqué à peu près ceci : cette hypothèse n’est pas recevable ; je l’ai évacuée de mon raisonnement. 
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- Cela fait des lustres que la science a divorcé de la divinité. Heureusement d’ailleurs… oui, cela t’étonne d’entendre de tels propos dans ma bouche… mais j’existe parce que je suis justement cette science sublimée, aboutie, qui, aux yeux des êtres non achevés, peut apparaître comme de la magie. Je me suis mis à la portée, au niveau de langage de l’humanité… or, il y a un problème dans ta foi. Un calife a refusé que l’on débatte du Coran ainsi que des Hadiths du Prophète. C’était inscrit une fois pour toute. Il a fermé la porte à l’exégèse. La civilisation arabo-musulmane a jeté tout son éclat sous Haroun-al-Rachid puis ce fut tout… ou presque. Les mauvaises langues prétendent – je sous-entends par là les théoriciens économiques du défunt ultralibéralisme - que la floraison du commerce abbasside à la fin du VIIIe siècle jusqu’en Inde, en Chine et en Indonésie (en témoignent les voyages de Sinbad le marin) résulta d’un trend favorable.
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- La plus grande sclérose, fulmina Radouane, ta partialité ne l’a toujours pas abordée, fut celle des ultralibéraux du XVe siècle de l’Hégire qui, après leur triomphe contre le démon rouge, l’Azazel communiste, crurent que l’Histoire était terminée et qu’une idéologie unique, ultra matérialiste, la leur, devait régner pour les siècles des siècles. Mais Seul Allah est éternel ! Il était donc logique que leur système injuste engendrât exclusions et frustrations chez tous les laissés pour compte qui se comptèrent, au fil du temps, par millions et milliards.
- Je connais la chanson, ils étaient devenus des cyberdépendants, des geeks, des drogués à l’obsolescence programmée, à la nouveauté futile à tout prix. Aucun des partis politiques traditionnels ne pouvait répondre à leurs attentes d’enfants gâtés en train de descendre l’ascenseur social. Alors, une fraction d’entre eux se réfugia dans le vote protestataire qui fit des ravages, dans l’adhésion à des idéologies démagogiques populistes et xénophobes qui prônaient l’exclusion de tous par tous. Une deuxième fraction délaissa la politique, s’abstenant à jamais sauf lorsqu’il s’avéra qu’il était trop tard. Inutile de te parler de la troisième fraction. Dangereuse, fascinée par Thanatos…
- Avait-elle le choix ? mais le Djihad n’est-il pas romantique ?
- Pour qui ? Pour celui qui ordonne et trompe bien à l’abri ? Ou pour celui qui se fait sauter bourré d’explosifs ou meurt kalachnikov en main ?
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- Le contexte les excusait, s’obstina le Sultan. Une crise économique entretenue ad vitam aeternam, par la fraction des riches qui continuait son enrichissement obscène, un réchauffement climatique dont toutes les solutions, les moyens technologiques pour lutter contre étaient connus mais que les lobbies contrôlés par ces mêmes ploutocrates retardaient, il y avait de quoi péter les plombs.
- N’innocente pas les Etats pétroliers ultraconservateurs… ce qui advint par la suite leur retomba sur les épaules. Ils étaient aussi coupables que les tiens, que les financiers, les industriels et les spéculateurs de tout poil.
- Pourtant, les moudjahidin leur doivent beaucoup, émit Radouane avec un sourire qui en disait long.
- Ils appuyaient l’expansion du salafisme et finançaient le djihad en sous-main, répliqua Dan El. Toutes les formes révolutionnaires, de 1789 à Che Guevara
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 ayant échoué, les djihadistes recrutèrent alors les convertis de la 24ème heure ou presque. Ces derniers n’avaient-ils pas à prouver plus que tous les autres ? Leur zèle devait servir d’exemple aux prochains recrutés. Le djihad qui se répandit fut une forme de révolte antérieure, antérieure à l’ère des révolutions de l’Occident, non point une jacquerie, une émotion d’Ancien Régime des Européens, pastoureaux, croquants, va-nu-pieds, etc. mais la resucée de l’expansion de l’Islam aux dépens de Byzance. A une échelle plus vaste, bien sûr.
- Ce que tu vas reprocher à ces rebelles, c’est, d’une part, qu’ils œuvraient à l’établissement d’un nouveau califat mondial, et, d’autre part, qu’il fallait qu’ils fissent table rase de tout ce qui n’était pas islam sur terre.
- Toute la Terre est islam. Du passé faisons table rase. Même les tombeaux des marabouts sont une hérésie et doivent donc être détruits en tant que manifestations idolâtriques. Je connais ces vieilles chansons, ces rengaines. Ce que je me refuse à accepter, ce sont les destructions patrimoniales, les massacres au nom de Dieu. Je n’ai jamais commandé cela. En mon nom, la mort, le sang et la souffrance ? Tu m’as réduit à l’état de démiurge fou et coléreux.   
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- Ce n’est pas ce que je voulais. Si je t’ai offensé, je t’en demande humblement pardon.
- Laissons. Passons aux révoltes antérieures. Les penseurs occidentaux de la modernité avaient perdu toute grille de lecture, toute aptitude à déchiffrer le sens historique de ces formes de rébellion qui ont marqué le déroulement des incidents humains. A leur décharge, ils subissaient un dénigrement général de l’histoire, du moins de l’histoire antérieure à cette modernité qui se croyait et se voulait triomphante et éternelle. Au-delà de quelques bribes concernant les deux conflits mondiaux de la première moitié du XXe siècle, ils étaient dans l’incapacité totale de se projeter dans les mentalités, les modes de pensée des êtres humains qui avaient vécu et souffert antérieurement à l’ère du consumérisme branché. Ils s’en fichaient non seulement de ce qui avait fondé la mythologie des luttes sociales et ouvrières des XIXe et XXe siècle en sa première moitié, luttes qui avaient permis l’émergence de ce même monde consumériste, et a fortiori de toutes les rébellions anciennes médiévales et antiques, qu’elles eussent été millénaristes ou non. Toute une grande école historique occidentale s’était éteinte ou encore avait été réduite au silence par la pensée unique ultralibérale. D’ailleurs cette dernière avait imposé la doxa de la fin de l’histoire. Alors, oubliés la première abolition de l’esclavage par la Convention montagnarde,
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 les décrets de Ventôse, la Conjuration des Egaux,
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 Saint-Simon et les philosophes utopiques, les journées de Juin 1848, Lamartine
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 – que l’on n’étudiait plus du tout- préférant le drapeau tricolore au drapeau rouge, La Ricamarie, la Commune et la Semaine Sanglante,
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 Fourmies, etc. On avait abandonné tout cela, tous ces mythes fondateurs parce qu’ils correspondaient à un communisme archaïque et criminel qui avait sombré en 1989 de l’ère chrétienne. Ainsi, il était interdit désormais d’étudier et d’évoquer cette histoire-là, les ultralibéraux contrôlant tous les leviers de l’université et bouchant la carrière de tous ceux qui auraient eu la velléité de se pencher sur ces vieilles lunes. De toute manière à quoi bon attirer l’attention sur les perdants de l’histoire, ceux dont l’existence ne comptait plus ? Ces abandonnés des pseudo-élites se retrouvèrent à céder aux sirènes d’un extrémisme nationaliste et revanchard. Pour le bobo bien-pensant du côté du marteau, le monde débutait avec le pop’art, les Beatles, Jimi Hendricks,
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 Abba, Woodstock et ainsi de suite… Ce bourgeois bohème n’en avait rien à foutre des Gracques, de Spartacus, des Circoncellions,
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 des Bagaudes, de Nika, des Sourcils rouges de Chine, de Joachim de Flore, des Hussites,
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 des Cathares, des Anabaptistes et des Lollards, sans omettre la guerre des Paysans que Luther fustigea. Pour le bobo, la seule acception du mot « révolution » sous-entendait celle des années 60-70 du XXe siècle. Révolution des mœurs, privée et non pas collective, égocentrique, nombriliste, libérale-libertaire, non plus sociale mais sociétale, qui ravit les possédants avides de revanche parce que celle-ci sapait les fondements du monde keynésien issu de la Seconde Guerre mondiale, « révolution » que vous et les néo-fascistes nostalgiques considérâtes comme un syndrome de décadence de l’Occident. Un signe attendu par tes coreligionnaires avec la plus grande impatience.

- Il en est toujours allé ainsi, Seigneur… même moi, je trouve cela normal. Les miséreux n’ont pas d’histoire. Ils ne m’intéressent pas. Qu’ils demeurent dans leur ignorance. Ainsi, je règne et gouverne sans partage.
- Certes, mais à force d’ignorer le substrat des sociétés… tout finit par disparaître. Le soulèvement des oubliés est parfaitement logique. Surtout lorsque la seule forme d’opposition au système dominateur devient la théocratie obscurantiste. Penseurs et milieux culturels étaient grandement coupables d’avoir abandonné des pans entiers de la culture qu’ils jugeaient dépassés aux nouveaux fascistes et aux hérauts de la fin du monde qui avaient leur propre vision déformée de la fin de l’histoire. Un peu comme une niche écologique délaissée par une espèce qu’une autre, opportuniste, finit par occuper à sa place…
- Je suis parfaitement ton discours.
- Tu m’en vois satisfait. Pour en revenir au modernisme branché à tout crin, il muta en présentisme éternel. Hier n’existait pas, demain non plus. Il n’y avait donc qu’un aujourd’hui, un aujourd’hui pour toujours. C’était là les signes avant-coureurs d’une régression dans la psyché des Homo Sapiens. Paresseux et passifs sur le plan intellectuel, prisonniers de schémas mentaux déstructurés ou, au contraire trop structurés, ils perdirent la faculté de se projeter dans l’avenir, de rêver et de créer des œuvres pérennes. La mode de déshistoriciser toutes les créations du passé, de les transposer dans un univers contemporain compréhensible et déchiffrable par un public qui avait perdu toutes les références fit des ravages parmi ceux qui auraient pu renverser la vapeur de la machine.
- Ah oui… Je me souviens de ces vieilles archives numériques avant qu’elles ne puissent plus être lues. Des spectacles impies que l’on nommait opéras ou pièces de théâtre, transposés systématiquement aux XIVe et XVe siècles de l’Hégire, pour faire sens. Pour endormir aussi les esprits, les empêcher d’exercer leur talent critique. Cela nous convint à nous, les guerriers du Prophète. Cela servit notre cause au-delà de notre espérance.
- Les termes d’anachronisme et de contre-sens avaient été bannis du langage. La vieille Europe et une partie de l’Amérique du Nord n’étaient plus peuplées que par des Elois tandis que les Orientaux s’assimilaient aux Morlochs. Lorsque les Djihadistes entreprirent la destruction systématique des trésors patrimoniaux babyloniens, sassanides,
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 gréco-bouddhiques, gréco-romains, etc., seuls quelques archéologues de l’ancienne culture réagirent mais il était trop tard. De fait, les pièces les plus spectaculaires subirent les ires des zélotes alors que les œuvres de taille raisonnable alimentaient parallèlement un fructueux trafic d’antiquités pourvoyant ainsi au financement de la guerre sainte mondiale. Et tout ceci sous les yeux des Occidentaux sidérés se croyant à l’abri de ce conflit dans leur nid douillet. La réalité les rattrapa bien vite lorsque les lieux de sociabilité impies, les lieux de brassage culturel et social devinrent inévitablement la principale cible des terroristes. La guerre n’était plus loin, seulement visible par écran interposé. Elle était au coin de la rue et pouvait frapper à n’importe quelle heure du jour. Ne dis pas, seigneur Radouane que tu ne ressens aucune compassion pour les victimes innombrables…
- Si, mais pour celles qui se faisaient exploser. Le paradis les attendait, mais…
- Ah oui ? Je ne les ai jamais vues arriver. Je les attends encore !
- Seigneur, ne m’assimile pas à l’inhumanité. A t’entendre, je suis déjà dans les griffes d’Ebliss.
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- Pour l’heure, nieras-tu que les tiens se sont sacrifiés inutilement lorsqu’ils tentèrent d’anéantir la pyramide de Khéops ? Ils se sont cassé les dents des années durant à essayer de la faire sauter. Ils n’ont réussi à devenir que de la chair éparpillée, déchiquetée, dévorée par les chacals.
- Tu es bien dur !
- Mais je ne dis que la vérité, seigneur. Je l’ai vu de mes propres yeux. Certains, parmi ces « promis au paradis » n’avaient que dix ou douze ans. Je ne compte plus les jeunes filles parmi ces fous d’Allah. Je n’ai pu les accueillir. Elles me débectaient trop.   
- Si cela te dégoûtait, pourquoi n’es-tu pas intervenu directement ?
- Le libre-arbitre, tout simplement. Je ne m’en dédirai pas. 
Une pause dans cet échange sans concession entre les deux parties puis le dialogue reprit, toujours plus âpre.
- Sais-tu quel châtiment je réserve aux impies et mécréants, souffla le Sultan.
- J’y ai assisté incognito. La croix, la décapitation, mais aussi, nouveauté, l’ébouillantement, la cuisson à l’étouffé. Bref, des homards humains, et ce n’est pas une métaphore. Cependant, tu n’as rien à envier au camp d’en face, celui-ci pratiquant le cannibalisme. J’étais sur Cythère 2, cette prétendue arche des nantis, qui se mua en véritable pandémonium. Je me serais cru dans ce vieux film bidimensionnel de Pasolini, son ultime opus qui fit scandale avant son assassinat, Salό ou les cent vingt journées de Sodome.
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- Bien fait pour cet homo, lança Radouane avec tout son venin.
- Ecoute, Pasolini avait été une des dernières personnalités lucides de cette planète si chère à mon cœur avant qu’elle ne sombrât. Après lui, la pseudo élite dirigeant le monde devint l’idiot utile des fondamentalistes de tout bord. Qu’ils fussent économiques ou religieux. On entretint délibérément la confusion entre Connaissance, Savoir et Information. L’essor du Net permit cela. Ainsi, on fit accroire aux nouvelles générations que l’âge de l’accès serait la panacée. Du moment que les jeunes savaient surfer et trouver ladite information, ils pouvaient avoir leur diplôme de fin d’études. Les enseignants devenaient inutiles et obsolètes et, avec eux, l’idée de transmission de la Connaissance avec l’effort intellectuel pour l’acquérir s’avéra désuète et risible. Le statut social du professeur passeur du savoir fut dévalorisé et moqué. Je puis parler d’aspergérisation de la connaissance même la plus banale quelques décennies auparavant. Désormais, les derniers détenteurs de ce qui avait fait la particularité de l’humanité furent ravalés au rang de fous, d’idiots du village, d’autistes savants et j’en passe. Ainsi passe et trépasse la civilisation. Des monstres noyés dans un océan de banalité, aux ailes arrachées. Des clowns montrés du doigt. Les best-sellers ultra formatés s’enchaînaient année après année, autofictions nombrilistes comptant cinq cents pages creuses, du vide mal orchestré, s’apitoyaient sur l’écrivaine violée par son père (une invention, un mensonge du diable) alors que la science-fiction, décriée plus que jamais et dévalorisée, mettait en garde par métaphores ou allégories sur les dérives d’un monde qui courait à sa perte. La lecture s’effondra, reposant sur les seuls enfants de moins de dix ans et les seules femmes – certainement pas des ménagères de moins de cinquante ans qui elles, passaient leur temps de cerveau disponible à avaler les spots publicitaires décérébrant par kilomètre- ce qui fit que le pourcentage de lisants tomba à 10%, c’est-à-dire à celui du XVIe siècle de l’ère chrétienne. Et encore, je suis généreux. Le langage des slogans publicitaires, à propos, était élémentaire, primal, et faisait appel au cerveau limbique, pas même reptilien. Il se résumait à quelques mots mal articulés, à une novlangue orwélienne rudimentaire facile à mémoriser.
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 Ce qui m’irrite dans tout cela, c’est l’apparentement de cette langue sommaire avec celle des totalitarismes nazi et stalinien mais aussi avec la langue de tes moudjahidin.  
- Admets, Seigneur, que tout cela facilita notre tâche. Un langage simple qui ne prend pas la tête est nécessaire aux soldats voués au sacrifice.
- Le langage du fanatisme qui ravale l’homme à un des éléments aveugles d’une machine que rien ne peut arrêter.
- Les livres que tu regrettes tant étaient sacrilèges et donc voués à la destruction. Ils n’enseignaient pas la Charia, les Hadiths du Prophète.
- Les autodafés de tes ancêtres s’apparentent à ceux de l’Inquisition et des nazis. Il est regrettable que, parmi les ouvrages que vous brûlâtes, figuraient nombre d’œuvres des philosophes des Lumières, Voltaire notamment. A ce sujet justement, les classiques de cette littérature fondamentale ne connaissaient des flambées de vente qu’après chaque sidération sanglante. Ce que je pardonne encore moins à ta religion, seigneur Radouane, c’est le mimétisme entre tes zélotes et Savonarole lorsque l’art figuratif sous toutes ses formes rejoignit les bûchers islamiques. Tout y passa, y compris les planches originales de Franquin, les inestimables et cultissimes dessins des aventures de Gaston Lagaffe, de QRN sur Bretzelburg, etc.  
- Et la musique ? qu’en fais-tu ? Le Coran interdit celle-ci. C’est avec juste raison que nous nous en prîmes à tous les supports possibles de diffusion de la musique. Elle distrait le fidèle et l’attire dans les rets du démon.
- Les instruments, les enregistrements et les partitions furent perdus mais moi, je les possédais et je pourrai les rendre à l’humanité. Dérision ! Tous ces efforts pour ravaler l’humanité au stade de la bête ou de la machine à tuer et à procréer.
- De toute manière, les matrices que nous détruisîmes ne pouvaient plus être lues et déchiffrées à cause de l’obsolescence programmée des supports technologiques. Une obsolescence qui allait en s’accélérant et tant pis pour la planète et ses ressources.
- Ah ! Radouane ! Ne joue pas au philosophe cynique avec moi.
- Seigneur, tu as évoqué tantôt la science arabe. Nous l’avons épargnée mais les rares fragments manuscrits que nous possédons encore sont si gâtés que plus personne ne peut les déchiffrer.
- Tu veux dire que plus personne ne sait lire dans ton monde, sauf toi, et encore, pas couramment… tu ânonnes le livre saint.
- J’ai pourtant étudié dans la dernière madrasa avant qu’elle soit détruite par mes opposants. Bien sûr, ceux-ci furent punis par moi lorsque j’accédais à la fonction suprême.
- L’ébouillantement, l’empalement ou la crucifixion…
- Les trois… quant à l’autre science, elle mérita ce qui lui advint. Tous les ouvrages de l’Occident étaient en anglais ou presque, la langue haïe du colonisateur. Ils brûlèrent durant des jours et des jours, plongeant mes ancêtres dans une joie immense.
- Des ancêtres qui croyaient que la Terre était plate, que le monde fut créé en quelques jours, et autres billevesées. Sache que je suis toujours à l’ouvrage. C’est là un travail jamais achevé. L’Univers ne se réduit pas au Système solaire, ni à la Voie Lactée. Des potentialités sans fins s’offrent à moi… des options se présentent que je choisis ou efface… mais elles peuvent toujours revenir et voir le jour.
- Nous avons le droit de croire en toi, Seigneur, d’être créationnistes, n’est-ce pas ?
- Ah ? Le Dessein intelligent ? Il me revient en mémoire, j’ai assisté incognito à de multiples débats sur ce sujet… Bien évidemment je ne m’en suis pas mêlé. Outre la mise à sac des musées d’art, la destruction des bibliothèques et des universités, j’ai été aussi témoin de la mise à bas des grandes institutions scientifiques.
- As-tu donc vu les grands bûchers des collections sacrilèges du Musée de l’Homme à Paris de l’an 1500 de l’Hégire ? Ce fut grandiose, inoubliable…
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- Oui, hélas ! J’ai pleuré à la consumation des cires anatomiques, des masques africains, je l’avoue. Mais j’aurais pu empêcher cela. En quelque sorte, c’est ce que je fis puisque, dans une des potentialités, cela n’arriva pas et que ces merveilles existent toujours quelque part. L’Information n’est jamais entièrement perdue. La Sauvegarde…
- Le Musée de l’Homme témoignait de la perversion ultime de l’Occident, autant par ce qu’il exposait que par ce qu’il dissimulait dans ses réserves. Les lâchetés ordinaires qui permirent notre triomphe quelques décennies plus tard se révélèrent dans toute leur splendeur. Comment ! Des centaines de dépouilles humaines, de squelettes, de fœtus, de momies vénérables que ces pervers de décadents cachaient dans les sous-sols, justifiant leur camouflage par un prétendu politiquement-correct, une éthique biologique, médicale, que sais-je encore ! Une pudibonderie hypocrite, oui !
- Je pense que tu fais allusion à la découverte du moulage de la Vénus hottentote ?
- C’était une idole obscène, tout comme vos Vénus préhistoriques que brisèrent les valeureux combattants de la Foi ! Ils crachèrent sur ce nu difforme que les Occidentaux n’avaient plus le courage d’exhiber pour témoigner de leurs crimes passés. Ils lui firent subir les pires outrages avant de la jeter aux flammes où déjà se consumaient les dépouilles naturalisées de singes, le crâne du soi-disant homme de la Chapelle aux Saints et autres vestiges impies.
- Seigneur, nous ne serons jamais d’accord. Ce crime, je ne puis le pardonner aux tiens qui ont profané les restes authentiques d’un K’Tou.
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- Oui, tu perçois cela comme un péché.
- Tu souhaiterais me déboulonner de mon piédestal. Je ne corresponds pas à tes attentes. Un musulman ne peut pas tuer Dieu, il n’a pas lu Nietzsche.
- Sans doute. Je t’ai servi toute ma vie et je suis voué à Azazel.
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- Je suis les deux, le Juge par excellence. Tu ne viendras pas dans ma Cité.   
A ce niveau de l’échange, on pouvait légitimement se demander qui, de Radouane ou de Daniel Lin faisait preuve de plus de cynisme. Le sultan avait pour excuse de n’être qu’un humain à l’intelligence bornée et d’être prisonnier des schémas de pensées de son « époque ». Au contraire, Dan El n’était pas enfermé par un savoir dépendant d’un contexte spatio-temporel déterminé. Il lui suffisait que l’Information lui parvînt dans son intégralité malgré les aléas pour le satisfaire pleinement. En réalité, les humains ne lui importaient que dans la mesure où ils étaient les vecteurs des émotions. Il ne pouvait dévoiler au sultan de Mossoul que son existence ne dépendait que de cette seule et unique chronoligne 1833. Nulle part ailleurs, le Superviseur n’avait envisagé la potentialité d’un autre Radouane. Cruauté gratuite ? Contingence minimale assurément. Certes, l’intrication quantique permettait la coexistence simultanée de toutes les données dans une multiplicité d’emplacements potentiels divergents du Pan transmultivers. Certaines de ces données intriquées constituaient des doublons, des triplons, que la volonté du Ying Lung choisissait non aléatoirement. C’était la raison pour laquelle le problème Aurore-Marie de Saint-Aubain avait acquis plus d’acuité que celui de Radouane parce que sa potentialité quantique n’apparaissait nulle part. Elle avait surgi du RIEN, et cela expliquait le vide sidéral auquel Dan El avait été confronté lorsqu’il avait tenté de sonder son esprit dans les sous-sols du Trocadéro. Elle n’était constituée ni de matière ni d’antimatière ni de quoi que ce fût de connu ou d’inconnu. La jeune poétesse n’aurait jamais dû exister.
- Le plus redoutable parmi tes ancêtres actuels, fit Daniel Lin, c’est la coexistence entre des schémas de pensées du VIIe siècle et la technologie du XXIe siècle. Ne m’objecte surtout pas « qu’auraient fait Louis XIV, Napoléon, Hitler et d’autres despotes du passé s’ils avaient bénéficié des armes et des moyens informatiques sophistiqués du dernier siècle de la domination occidentale » ?
- Je me demande pourquoi cette conversation se prolonge. Quoi qu’il en soit, tu auras toujours raison. Tu es Dieu, je ne suis rien.
- Demande à un K’Tou armé d’un hachereau de passer directement à la cyber guerre. La sauvagerie la plus abominable s’exprimera alors. Pourtant, les K’Tous tiennent une place privilégiée dans mon cœur.
- Sauvagerie ? Répliqua Radouane sarcastique. Les infidèles décadents avaient banni ce mot trop connoté par leur mauvaise conscience.
- Je le sais, émit Dan El. Ils lui avaient préféré celui de « barbarie » jusqu’à en abuser et à le vider de toute signification, le métamorphosant en une tautologie alors que, dans le même temps, les historiens avaient mis en lumière, a contrario, le niveau de civilisation atteint par les Barbares de l’Antiquité. Huns, Celtes, Goths, Sarmates,
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 Daces, Scythes et j’en passe… si j’avais avec moi ce vieux livre papier De peur que les ténèbres, je te le recommanderais…
Alors, Dan El disparut dans une débauche de lumière effrayante. Des spirales de particules et d’antiparticules étincelantes se succédèrent dans la pièce, l’aula, avec, à la fin, une explosion photonique pouvant aveugler un humain tout à fait ordinaire. Ce spectacle donna la nausée à Radouane. Comme sonné, le prince mit du temps à recouvrer tous ses sens.
A suivre...
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