CYBERCOLONIAL :
DEUXIEME PARTIE
Par Christian Jannone et
Jocelyne Jannone.
Du rififi à
Kakundakari-ville.
Prologue.
Le Bellérophon noir naviguait
depuis trois jours déjà dans le secteur du golfe de Guinée. Jusque-là, sa
traversée n’avait été émaillée d’aucun incident notable digne de figurer dans
les annales. Cependant, il s’était avéré, que, contrairement au capitaine de
Boieldieu et à son second Hubert de Mirecourt, Barbenzingue n’avait guère le
pied marin. Il se fût senti plus à l’aise dans un bivouac ou à faire le coup de
feu contre les tribus insurrectionnelles de Kabylie.
Certes, le sous-marin flottait de
préférence entre deux eaux, surtout le jour. Depuis qu’ils avaient atteint la
haute mer, les officiers avaient jugé bon de ne pas plonger trop en profondeur,
trente mètres paraissant suffisants.
Il arrivait au submersible de
naviguer en surface afin que tous les membres d’équipage s’emplissent les
poumons d’air frais. Le Bellérophon noir avait dû effectuer plusieurs
escales semi-clandestines à Saint-Jean de Luz, à Recife et à Gorée. Des
frictions étaient apparues au sein du commandement entre les officiers de la
marine, les terriens et les coloniaux. Boulanger avait eu le plus grand mal à
ramener l’ordre tandis qu’en clinicien, Pierre Fresnay assistait aux échanges
peu amènes avec une délectation marquée.
Hubert de Mirecourt, commandant
en titre du submersible, s’en remettait cependant au maître principal pour
calculer les positions du bâtiment. Cela faisait rire de Boieldieu qui était
l’un des rares officiers à connaître ce secret. Lui, cela ne lui aurait pas
posé problème, ayant bénéficié des cours de rattrapage de l’Agartha. Oui, il y
avait un authentique officier de la Royale à bord, le capitaine de frégate
Henri de Tastevieille - qui avait servi sous les ordres de l’amiral de La
Gravière, mais il n’était pas bien en cour auprès du commandement parce que
légitimiste notoire.
Pierre, tout en suçotant le tuyau
éteint de sa pipe, n’en pensait pas moins :
« Tous ces galonnés me
semblent dignes des officiers de La Méduse. Jusqu’à maintenant, nous
avons eu la baraka. Pourvu que ça dure ! »
L’équipage comportait
quarante-cinq hommes, ce qui, en cet espace assez confiné, n’était pas sans
poser quelques problèmes de cohabitation et de réserves d’oxygène, ce qui
exacerbait les tensions latentes. A part les quatre officiers supérieurs, qui
avaient chacun leur cabine particulière, aussi étroite fût-elle, les autres
hommes devaient se contenter d’un dortoir commun aux hamacs spartiates et à des
toilettes qui ne l’étaient pas moins. Bref, Le Bellérophon noir ne
ressemblait en rien au Nautilus sur le plan du confort. En cas de coup
dur, Pierre Fresnay ferait partie des nantis, ayant à sa disposition un
scaphandre Rouquayrol. Il fallait donc croiser les doigts et espérer que le
submersible ne coulât pas par trois cents mètres de fond.
La position venait d’être relevée
; elle l’était deux fois par jour, le matin et le soir. Le sous-marin croisait
au large des côtes de la Gold Coast, hors de portée des fortins britanniques.
Il avait été prévu dès le début de l’expédition que Le Bellérophon noir accosterait
à Pointe noire où l’attendait en principe en renfort un bataillon de fusiliers
marins et de tirailleurs sénégalais commandé par le lieutenant de vaisseau Gontran
de Séverac. Cette troupe était équipée de mitrailleuses du dernier modèle
Maxim, nécessaires à bien faire comprendre aux autochtones la supériorité des
soldats français.
Sur sa feuille de route,
Barbenzingue avait programmé la « reddition pacifique » des postes
placés par Savorgnan de Brazza jusqu’au Stanley Pool censés garantir la
sécurité et la pérennité du drapeau tricolore en ces terres lointaines.
Naïvement, le général revanche croyait que son seul nom suffirait à lui rallier
tous les corps africains.
Officiellement, le sergent
Malamine était mort depuis deux ans, mais c’était sans compter sur les
phénomènes multiples, les aberrations temporelles de cette chronoligne soumise
au bon plaisir d’une entité inconnue.
Depuis quelques minutes, alors que
l’on naviguait à quarante mètres de profondeur à la vitesse de dix nœuds, il
sembla à l’homme de barre que quelque chose empêchait l’hélice du gouvernail de
donner sa pleine puissance. C’était un peu comme si un amas d’algues
inopportunes s’était accroché aux spires. De plus, la densité de l’eau de mer
avait augmenté, prenant la consistance d’un liquide gélatineux. Le pilote
interpella le capitaine de Tastevieille et lui rendit compte du problème.
Le royaliste actionna le
périscope afin de voir ce qu’il en était précisément.
« Fichtre ! Je n’ai jamais
vu ça ! Qu’est-ce que cette fantasmagorie ? »
Enfermé qu’il était dans la
tourelle du périscope, il en redescendit vivement, se saisit du cornet
acoustique et appela Hubert de Mirecourt.
« Commandant, vous êtes prié
de venir immédiatement sur la passerelle ! »
Hubert, qui lisait paisiblement
un journal satirique, s’empressa de rejoindre Tastevieille. A son tour, il jeta
un coup d’œil à ce qui entravait le submersible.
« Sacrebleu ! J’en informe
le général. »
Aussitôt dit, aussitôt fait.
Boulanger n’en revenait pas, mais il pensa d’abord à la coque du Bellérophon
noir.
« La résistance de la
structure sera-t-elle suffisante ? fit-il, inquiet.
- Pour cela, il nous faut
consulter les plans.
Comme par hasard, de Boieldieu
avait anticipé la demande.
- Les voici, messieurs.
Les trois officiers se penchèrent
sur les dessins et y étudièrent minutieusement les relevés, les chiffres
d’épaisseur d’acier, le nombre d’atmosphères, les points faibles, les
entretoises, l’étanchéité des différents compartiments et des épaisseurs de
coque, les tailles des rivets, etc.
Hubert de Mirecourt s’épongea le
front de soulagement.
- Cela devrait aller,
soupira-t-il.
Fresnay émit un doute.
- A votre place, je referais
surface. Ces craquements n’augurent rien de bon.
Comme en réponse, une vive
secousse se fit sentir, qui occasionna la chute des officiers supérieurs, le
plancher de la passerelle gîtant de huit degrés.
« Ça y est ! Je
suis plongé en plein feuilleton amerloque fauché ! On me refait le coup des
scènes réemployées inlassablement d’un épisode à l’autre du sous-marin secoué
par une énorme bestiole : calmar géant, rorqual, Léviathan, extra-terrestre
perdu au fin fond des océans, mutant malintentionné et méduse dantesque en
proie au spleen. »
« Vous avez raison,
capitaine ! Tant qu’il en est encore temps, remontons ! »
Hurlant dans le cornet
acoustique, Tastevieille ordonna :
« En surface, vite ! Tant
pis pour les paliers de sécurité ! »
L’homme de barre répliqua :
« J’veux bien, mais à
condition de lâcher tous les ballasts ! »
Cahin-caha, Le Bellérophon
noir remonta, décrochant péniblement des tentacules monstrueux d’un banc de
méduses qui avaient pris le submersible comme jouet d’agrément.
Lorsque le sous-marin se retrouva
en sécurité, son écoutille ouverte, le comédien prit le périscope, le descendit
et vit ce qui avait mis à mal la coque.
« J’aurais dû parier ! Il
n’ya pas une méduse, mais une centaine ! »
Il s’agissait de Pelagia d’une
taille impressionnante. Cette espèce de cnidaire, pourtant commune, avait
acquis, par on ne sait quel prodige évolutif, des dimensions respectables. Les
ombrelles atteignaient huit à dix mètres de circonférence, et il semblait
qu’elles étaient parcourues de phosphorescences bleutées intelligentes, comme
si elles communiquaient en réseau. Le banc s’étendait jusqu’à la côte, barrant
au submersible toute possibilité d’accostage sans casse.
« Bigre !Siffla Pierre. Des
cousins de notre Schlffpt ? Par quel miracle ont-ils été télétransportés sur
cette Terre ? »
A suivre...
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