Comme
dans certains westerns, on ne savait pas d’où il venait car étranger à la
région. Il se présenta comme un émule de Philippe Marlowe, de Sam Spade,
d’Isidore Bautrelet et de Rouletabille. Il n’avait sur lui qu’une valise
minable, un trench à la Bogart, un complet de confection en tergal, une cravate
colorée et démodée, une chemise douteuse, un feutre mou, des chaussures à tige
mais fatiguées, une clope au bec.
Il
sifflotait et chantonnait sans cesse un tube récent d’Edith Piaf, gouailleur en
diable :
Allez venez! Milord
Vous asseoir à ma table
Il fait si froid dehors
Ici, c'est confortable
Laissez-vous faire, Milord
Et prenez bien vos aises
Vos peines sur mon cœur
Et vos pieds sur une chaise
Je vous connais, Milord
Vous ne m'avez jamais vue
Je ne suis qu'une fille du port
Une ombre de la rue...
Pourtant, je vous ai frôlé
Quand vous passiez hier
Vous n'étiez pas peu fier
Dame! le ciel vous comblait
Votre foulard de soie
Flottant sur vos épaules
Vous aviez le beau rôle
On aurait dit le roi
Vous marchiez en vainqueur
Au bras d'une demoiselle
Mon Dieu! qu'elle était belle
J'en ai froid dans le cœur...
Allez venez! Milord
Vous asseoir à ma table
Il fait si froid dehors
Ici, c'est confortable
Laissez-vous faire, Milord
Et prenez bien vos aises
Vos peines sur mon cœur
Et vos pieds sur une chaise
Je vous connais, Milord
Vous ne m'avez jamais vue
Je ne suis qu'une fille du port
Une ombre de la rue...
Dire qu'il suffit parfois
Qu'il y ait un navire
Pour que tout se déchire
Quand le navire s'en va
Il emmenait avec lui
La douce aux yeux si tendres
Qui n'a pas su comprendre
Qu'elle brisait votre vie
L'amour, ça fait pleurer
Comme quoi l'existence
Ça vous donne toutes les chances
Pour les reprendre après...
Allez venez! Milord
Vous avez l'air d'un môme
Laissez-vous faire, Milord
Venez dans mon royaume
Je soigne les remords
Je chante la romance
Je chante les milords
Qui n'ont pas eu de chance
Regardez-moi, Milord
Vous ne m'avez jamais vue...
Mais vous pleurez, Milord
Ça, j' l'aurais jamais cru.
Eh! bien voyons, Milord
Souriez-moi, Milord
Mieux que ça, un p'tit effort...
Voilà, c'est ça!
Allez riez! Milord
Allez chantez! Milord
Ta da da da...
Mais oui, dansez, Milord
Ta da da da...
Bravo! Milord...
Encore, Milord...
Ta da da da...
Vous asseoir à ma table
Il fait si froid dehors
Ici, c'est confortable
Laissez-vous faire, Milord
Et prenez bien vos aises
Vos peines sur mon cœur
Et vos pieds sur une chaise
Je vous connais, Milord
Vous ne m'avez jamais vue
Je ne suis qu'une fille du port
Une ombre de la rue...
Pourtant, je vous ai frôlé
Quand vous passiez hier
Vous n'étiez pas peu fier
Dame! le ciel vous comblait
Votre foulard de soie
Flottant sur vos épaules
Vous aviez le beau rôle
On aurait dit le roi
Vous marchiez en vainqueur
Au bras d'une demoiselle
Mon Dieu! qu'elle était belle
J'en ai froid dans le cœur...
Allez venez! Milord
Vous asseoir à ma table
Il fait si froid dehors
Ici, c'est confortable
Laissez-vous faire, Milord
Et prenez bien vos aises
Vos peines sur mon cœur
Et vos pieds sur une chaise
Je vous connais, Milord
Vous ne m'avez jamais vue
Je ne suis qu'une fille du port
Une ombre de la rue...
Dire qu'il suffit parfois
Qu'il y ait un navire
Pour que tout se déchire
Quand le navire s'en va
Il emmenait avec lui
La douce aux yeux si tendres
Qui n'a pas su comprendre
Qu'elle brisait votre vie
L'amour, ça fait pleurer
Comme quoi l'existence
Ça vous donne toutes les chances
Pour les reprendre après...
Allez venez! Milord
Vous avez l'air d'un môme
Laissez-vous faire, Milord
Venez dans mon royaume
Je soigne les remords
Je chante la romance
Je chante les milords
Qui n'ont pas eu de chance
Regardez-moi, Milord
Vous ne m'avez jamais vue...
Mais vous pleurez, Milord
Ça, j' l'aurais jamais cru.
Eh! bien voyons, Milord
Souriez-moi, Milord
Mieux que ça, un p'tit effort...
Voilà, c'est ça!
Allez riez! Milord
Allez chantez! Milord
Ta da da da...
Mais oui, dansez, Milord
Ta da da da...
Bravo! Milord...
Encore, Milord...
Ta da da da...
Cela
évoquait les bastringues, les caf’conc’ 1880-1900 de Toulouse-Lautrec, les
putains de western peroxydées et pots de peinture en guêpière moulant leurs
formes généreuses goualant dans les saloons enfumés par les mauvais cigares où
les tricheurs au poker adonisés comme des tantes ou des pieds-tendres, les
doigts pommadés sertis de chevalières et de cabochons rutilants et les cheveux
brillantinés, flinguent à bout portant avec leur Derringer ceux qui les
accusent de détenir cinq as. La musique revêtait des consonances indéniables de
piano mécanique désaccordé. On eût pu imaginer une pierreuse de Whitechapel, en
1888, chantant ça dans un anglais vulgaire, rocailleux, imbibée d’absinthe ou
d’éther (on se came avec ce qu’on trouve), abordant le micheton en la personne
d’un mathématicien britannique victorien perverti mais distingué, Sir Charles
Merritt, encanaillé dans ce bas-fond transsudant d’une misère cloaqueuse de slums.
L’homme lâcherait son Raptor de garde, Taïaut, qui lacèrerait le ventre
de la marie-salope afin d’en récupérer les délectables fressures fumantes. Jack
l’éventreur serait né.
Le
détective privé ( ?), bon bout de la raison, petites cellules
grises, n’eut pas honte d’afficher ses prétentions. Il ambitionnait d’avoir
tout réglé avant le 31 décembre. Certains prétendirent qu’il s’agissait d’une barbouze
mandatée par le gouvernement pour enfin résoudre toutes ces saloperies qui
donnaient de notre pays une mauvaise image de marque internationale et nuisaient
à son prestige recouvré grâce au vieillard providentiel de 70 ans. On
n’était plus qu’à trois semaines de Noël, le temps pressait et la neige avait
succédé à la pluie.
Toute
la contrée était d’humeur morose, et il craignait que les gens du coin le prissent
pour un vantard, un excentrique ou un matamore. Cependant, une conviction aiguë
l’habitait. A force de fureter avec acuité dans tous les instituts de
criminologie et de parcourir l’ensemble de la littérature produite par les
criminologues d’au moins trois continents (polyglotte, il pratiquait couramment
l’anglais, l’espagnol et l’italien, et possédait des notions de russe et de
mandarin), il s’était fait à l’idée que le responsable n’était pas
invincible. Il avait une vie, un passé, des points faibles, à charge pour
notre émule du Faucon maltais de les découvrir.
Cependant,
il craignait qu’une fois démasqué, capturé comme une bête fauve pour une
ménagerie exotique privée de riche nabab, ce criminel exceptionnel souffrît
d’un syndrome d’autodestruction tout en s’enfermant dans le silence. C’est dire
que notre détective redoutait que le Couquiou se suicidât sans avoir dégoisé.
L’énigme de ses motivations, du pourquoi de son parcours, resterait
insoluble, alors qu’une explication historique, rationnelle, forcément
rationnelle et raisonnable, logique, se dissimulait derrière les couches
incommensurables « préhistoriques » de ce malade mental. Mais
tous les assassins, quels qu’illogiques et dérangés qu’ils fussent ou
apparussent aux juges et aux jurés, agissaient toujours avec un certain
discernement, avec réflexion et calcul, sans qu’il fût besoin de réduire
commodément leurs actes à des accès de démence temporaires. La
préméditation lentement mijotée (durant des années peut-être), la préparation
du projet, ruminé, expérimenté, puis son accomplissement, telle était
la clef explicative, la théorie du Tout, englobante, totale et intégrale.
C’était mathématique. L’homme avait dû mettre cinq, dix, quinze ans pour
travailler son plan… avant d’enfin passer à l’acte. Fouiller le passé, son
passé, et celui des plaies mal refermées des drames innombrables de l’Histoire.
L’enquête ne s’achèverait pas avec l’arrestation. C’eût été trop simple, trop
réducteur… Patience et longueur de temps.
A suivre...
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