La
colonne de bonzes et de sherpas progressait sur le sentier montagnard
caillouteux et tortueux au péril de la vie de chacun.
Sur un catafalque monté
sur un yack à la fourrure brune constellée de stalactites de glace, au museau
enneigé, elle transportait en son ultime et éternelle demeure occulte la momie
indicible de Langdarma le Maudit.
En
ce voyage, il y avait des pertes, inéluctables autant qu’inévitables. Les dieux
de l’Himalaya choisissaient leurs victimes tantôt selon le Hasard, tantôt selon
la Nécessité, qu’elles fussent humaines ou animales. Les yacks du cortège
funéraire, justement, payaient un lourd tribut. On abandonnait la bête après
avoir récupéré sa charge, couchée sur le flanc, fourbue, agonisante, le mufle
sanglant, les narines écarlates évacuant désespérément un souffle brûlant. Le yack
moribond
poussait des meuglements pitoyables sans toutefois émouvoir les moines car pour eux, il s’agissait d’une réincarnation inférieure. D’autres fois, lorsque la sente se faisait trop étroite, les sabots glissaient et le bovidé tombait en l’abîme avec tout son faix dès lors perdu. Il était préférable qu’il mourût sur le coup, la carcasse rompue. Quelquefois, quand d’autres voyageurs aventureux passaient en l’inhospitalière contrée, il arrivait que le soleil, par quelque rayon, frappât la ceinture de cloches de bronze encore attachée à la carcasse à-demi gelée et ensevelie et la fît chatoyer, leur révélant la présence du yack mort dont le froid ralentissait la décomposition ; et ce soleil, pour peu qu’il ardât en suffisance l’été, provoquait une fonte partielle de la glace et de la neige, libérant davantage de sa gangue la dépouille gisant dans la ravine. Les vautours pouvaient enfin se repaître de la provende. Ainsi en était-il en Sibérie, quand fondait le permafrost dévoilant les mammouths ou taupes géantes à trompe à la grande joie des premiers paléontologues épigones de Cuvier.
poussait des meuglements pitoyables sans toutefois émouvoir les moines car pour eux, il s’agissait d’une réincarnation inférieure. D’autres fois, lorsque la sente se faisait trop étroite, les sabots glissaient et le bovidé tombait en l’abîme avec tout son faix dès lors perdu. Il était préférable qu’il mourût sur le coup, la carcasse rompue. Quelquefois, quand d’autres voyageurs aventureux passaient en l’inhospitalière contrée, il arrivait que le soleil, par quelque rayon, frappât la ceinture de cloches de bronze encore attachée à la carcasse à-demi gelée et ensevelie et la fît chatoyer, leur révélant la présence du yack mort dont le froid ralentissait la décomposition ; et ce soleil, pour peu qu’il ardât en suffisance l’été, provoquait une fonte partielle de la glace et de la neige, libérant davantage de sa gangue la dépouille gisant dans la ravine. Les vautours pouvaient enfin se repaître de la provende. Ainsi en était-il en Sibérie, quand fondait le permafrost dévoilant les mammouths ou taupes géantes à trompe à la grande joie des premiers paléontologues épigones de Cuvier.
La
colonne avait traversé une bonne partie du Mustang
quand elle parvint à destination, à l’entrée d’une cavité isolée par chance inoccupée puisqu’il était de coutume que les populations de l’ancien Lo usassent de ces grottes comme tombeaux. Les restes humains s’y momifiaient naturellement, bien qu’imparfaitement. Il ne restait en général d’eux que des squelettes avec des lambeaux carnés desséchés. Ce lieu avait certes été creusé par des hommes, à partir d’une faille préexistante, voilà quelques siècles, mais il n’avait jamais servi jusqu’à présent, délaissé pour des raisons inconnues à moins que des pillards, en une époque indéterminée, l’eussent délesté de ses dépouilles.
quand elle parvint à destination, à l’entrée d’une cavité isolée par chance inoccupée puisqu’il était de coutume que les populations de l’ancien Lo usassent de ces grottes comme tombeaux. Les restes humains s’y momifiaient naturellement, bien qu’imparfaitement. Il ne restait en général d’eux que des squelettes avec des lambeaux carnés desséchés. Ce lieu avait certes été creusé par des hommes, à partir d’une faille préexistante, voilà quelques siècles, mais il n’avait jamais servi jusqu’à présent, délaissé pour des raisons inconnues à moins que des pillards, en une époque indéterminée, l’eussent délesté de ses dépouilles.
Le
sépulcre prédestiné s’avéra d’une profondeur et d’une vastitude étonnantes,
puisqu’il comportait sept chambres successives, bien emboîtées. Des rites
propitiatoires chamaniques protecteurs de l’accès y furent donnés avant d’y
déposer le catafalque de Langdarma, rites au cours desquels intervinrent les
déesses Pehar Gyalpo et Dorje Drakden. Le Très Précieux Trinley Rinpoché, chef
de l’expédition, ordonna que chacune des chambres fût consacrée et
protégée ; chacune devait reproduire les stades successifs de la formation
de la Terre-Mère, mais pris à l’envers. Une couleur-emblème désignait chaque
stade ou étape : jaune, verte, bleue, orange, grise,
rouge et noire,
soit de la Fin au Commencement des Temps jusqu’à la fusion primordiale rétroactive de la matière ardente primitive. Chacune comporterait des psycho-pièges spécifiques, particuliers, nécessitant les quarante-neuf jours du Bardo pour franchir et neutraliser tous les enchantements et sortilèges simulés par les esprits chthoniens dans les cervelles des personnes suffisamment audacieuses pour être arrivées jusque-là après avoir maîtrisé tous les pièges, périls et gardiens extérieurs. Involontairement, cette conception des étapes de la formation de la sphère terrestre – car nos bonzes savants savaient intuitivement que la Terre était ronde sans avoir lu les scientifiques grecs, à moins que ce savoir leur eût été transmis par des descendants de la culture gréco-bouddhique de Bactriane – anticipait le grand ouvrage précurseur de l’Anglais Thomas Burnet,
la Telluris Theoria Sacra, publiée à Londres en 1680, ouvrage qui avait tenté de concilier et de synthétiser la cosmogonie de Descartes et la Bible. Mais aussi, nos moines avaient eu la prescience incroyable de la Grande Régression ou Rétroaction des extraterrestres Maachisons. Tout cela ressemblait à l’Anacouklesis de Cléophradès d’Hydaspe, fondateur gréco-indien de la secte gnostique des Tétra-épiphanes au IIe siècle de l’ère chrétienne. Nul, au Tibet, ne possédait pourtant les traductions de ses codex sacrés dans les livres tibétains, ces livres de prières constitués de lamelles de bois peint reliées.
soit de la Fin au Commencement des Temps jusqu’à la fusion primordiale rétroactive de la matière ardente primitive. Chacune comporterait des psycho-pièges spécifiques, particuliers, nécessitant les quarante-neuf jours du Bardo pour franchir et neutraliser tous les enchantements et sortilèges simulés par les esprits chthoniens dans les cervelles des personnes suffisamment audacieuses pour être arrivées jusque-là après avoir maîtrisé tous les pièges, périls et gardiens extérieurs. Involontairement, cette conception des étapes de la formation de la sphère terrestre – car nos bonzes savants savaient intuitivement que la Terre était ronde sans avoir lu les scientifiques grecs, à moins que ce savoir leur eût été transmis par des descendants de la culture gréco-bouddhique de Bactriane – anticipait le grand ouvrage précurseur de l’Anglais Thomas Burnet,
la Telluris Theoria Sacra, publiée à Londres en 1680, ouvrage qui avait tenté de concilier et de synthétiser la cosmogonie de Descartes et la Bible. Mais aussi, nos moines avaient eu la prescience incroyable de la Grande Régression ou Rétroaction des extraterrestres Maachisons. Tout cela ressemblait à l’Anacouklesis de Cléophradès d’Hydaspe, fondateur gréco-indien de la secte gnostique des Tétra-épiphanes au IIe siècle de l’ère chrétienne. Nul, au Tibet, ne possédait pourtant les traductions de ses codex sacrés dans les livres tibétains, ces livres de prières constitués de lamelles de bois peint reliées.
La
grotte, en son aspect réel, se constellait de cristal de roche et de géodes
d’améthyste.
Du soufre y affleurait aussi, en quantité. Des animaux aveugles y vivaient, translucides, dépigmentés.
Du soufre y affleurait aussi, en quantité. Des animaux aveugles y vivaient, translucides, dépigmentés.
Les
rites protecteurs internes accomplis et le catafalque maudit déposé au fin-fond
de la chambre ultime, restait à recruter les gardiens du dehors, à susciter
leur émanation ou incarnation. Tout commença par des invocations sacrales
obituaires suivies d’appels aux créatures des cimes à la préservation et au
respect de l’interdit des lieux. Des eaux lustrales furent épandues, venues de
la fonte des neiges. Les minutes s’égrenèrent sans que l’on pût les mesurer
avec exactitude puisque la colonne pieuse était dépourvue de sablier, de cadran
solaire et de clepsydre nécessaires au comput du temps. Seul l’aspect changeant
des arêtes et des crêtes témoignait du mouvement des ombres portées et de la
trajectoire journalière de Sol. Même le seigneur vent boudait. Tout n’était que
silence. Il semblait que le soir approchait, alors que les cimes se teintaient
de mauve, lorsqu’enfin, les entités sollicitées, qu’elles fussent de chair,
d’os, de sang ou de toute autre nature daignèrent se manifester. Elles se
soumirent aux ordres du Très Précieux Trinley. Il les avait sélectionnées avec
soin ; il importait que leurs qualités fussent optimales. Bravoure,
pugnacité, obéissance, force, hardiesse, ruse mais surtout exhalaison de
l’effroi par l’odeur, la vue, le mouvement, la promptitude, la volatilité, la
faculté de briser les lois de l’éther : tels étaient les pouvoirs des
créatures. Elles s’exprimaient en des langues antérieures à celles des hommes
sages. Des grondements, des vibrations, des rugissements, des glapissements
emplirent les sentes.
Nul risque que ne se déclenchât une avalanche : les déités veillaient à la préservation de la contrée tant que les étrangers indésirables ne s’aventureraient pas aux approches du sépulcre maudit. Les gardiens acceptèrent leur mission et firent acte de soumission aux bonzes. Ils se positionnèrent qui en surplomb, qui près de l’entrée de la grotte interdite, qui à quelques distances en contrebas, qui dissimulé en d’autres anfractuosités occultes.
Nul risque que ne se déclenchât une avalanche : les déités veillaient à la préservation de la contrée tant que les étrangers indésirables ne s’aventureraient pas aux approches du sépulcre maudit. Les gardiens acceptèrent leur mission et firent acte de soumission aux bonzes. Ils se positionnèrent qui en surplomb, qui près de l’entrée de la grotte interdite, qui à quelques distances en contrebas, qui dissimulé en d’autres anfractuosités occultes.
La
mission de l’expédition de Trinley Rinpoché accomplie, la colonne amorça son
retour. La tombe de Langdarma se trouvait, croyait-elle, protégée pour les
siècles des siècles. Seuls le rationalisme, les Lumières et l’athéisme
pourraient ébranler l’édifice soigneusement échafaudé. Mais, en l’an 842, ces
temps impies n’étaient pas encore venus.
A suivre...
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