vendredi 18 septembre 2009

Jimmy le motard

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Jimmy le motard.
A la mémoire de monsieur Viviani, mon ancien et regretté professeur de français, de l'époque où se déroule cette fiction, et à la merveilleuse matinée qu'il nous fit passer, à ma classe de seconde et à moi-même, le 5 avril 1980, samedi de Pâques. D'après un rêve étrange que je fis en ce même printemps.
Printemps 1980, quelque part sur une route secondaire d'Auvergne.
« Les gaz! Les gaz! Je dois moins mettre les gaz! Y faut que je me modère! J'ai pas envie que ma Yam' soit à sec, vu que dans c'bled, on dirait qu'y a pas une station service à 10 km à la ronde! Pas la peine de rouler à tombeau ouvert! J'suis pas au Bol d'or! »
Jimmy Prunier, 18 ans, roulait quelque part, pour une destination dont il n'était plus très sûr, fugueur de son état, au guidon de sa Yamaha 500cc au beau réservoir rouge.
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« Mes putains d'parents doivent avoir ameuté les gendarmes pour me rechercher! Et j'crois bien que je me suis perdu! C'est pas normal, merde! Y a même pas d'panneau indicateur dans l'coin! Ça fait plus d'une heure que j'ai ni dépassé, ni croisé un seul véhicule! J'voudrais bien trouver un mec pour me dire où je suis et m'indiquer le chemin...pour où, au fait? »
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« Comment j'en suis arrivé là? Pourquoi ai-je foutu le camp? C'est à cause de ma sœur, du prof de français et du curé!
Ma sœurette m'emmerde, surtout à cause de ses disques, de ses goûts musicaux incompatibles avec les miens : j'aime la pop anglo-saxonne, des groupes comme les Pink Floyd, les Who et Kiss, dont un film, « Kiss contre les fantômes »,
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vient de sortir au ciné et elle, elle jure que par des chanteurs francophones nuls : Clio, Ricard Groteiner et Mastic Bernard! Elle repasse à longueur de journée leurs 45 tours à la con : « Bandana slip » de Clio, tube plein de sous-entendus cochons, « Plumitif », de Groteiner et surtout « Ça crame pour moi », cette débilité monumentale dont le chanteur, en toc, a la voix trafiquée au synthé! C'est aussi nul que la ritournelle de cette pub de jouets pour mouflets d'trois ans : « Les Miniboules™ » : « Salut les amis, c'est nous les Miniboules™! » On se dispute tout l'temps, et la semaine dernière, cette pute de Stéphanie (c'est son prénom) m'a cassé mon album des Pink Floyd.
La musique du curé et ses chansons pseudo progressistes, j'peux plus les blairer non plus! Le bouquet, c'est son « Entends-tu Seigneur, le vroum-vroum des motos?»! Parce qu'il veut faire moderne et branché. C'est un beau salaud qui pense qu'à peloter les minettes, surtout depuis qu'il est devenu le co-PDG d'une entreprise textile à Issoire spécialisée dans le denim. Les « Messiah's jeans », c'est lui! Ce gros cochon de curaillon au cœur entouré de graisse joue les pince-fesses avec les gonzesses de 16 ans au cul hyper moulé dans des mini-shorts en jeans « Messiah »! Y va finir par se faire coincer par la police pour détournement de mineures!
Quant au prof de français d'mon lycée d'Clermont, c'est pire : c'est un baba-cool soixante-huitard qui nous fait rien foutre d'autre qu'écouter et chanter avec lui, sur le vieux pickup de quand il était ado, des trucs de militants anti guerre du Vietnam qui commencent à sérieusement dater : Joan Baez, ça va encore, j'aime assez bien, mais ce chanteur français censuré en 74, antimilitariste, y me casse les couilles. C'est consternant quand M'sieur Agostini (c'est l'nom du prof) nous dit de répéter avec lui : « Allez, les copains! Tous ensemble avec moi : « Doulaï doulaï doulaï, doulaï doulaï doulaï, doulaï doulaï laï dou laï dou! Doulaï dou la aï doulaï doulaï dou la aï doulaï doulaï doulaï la dou laï dou ou ou ou ou! »
Avec des mariolles et des gugusses pareils, on comprend pourquoi j'ai craqué! »
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« Bref, je cherche mon chemin, me demandant quel itinéraire prendre pour rejoindre Riom, où crèche mon copain Pascal depuis qu'il a déménagé l'an dernier. Pascal et moi, on est tous les deux sur la même longueur d'onde : la pop music, la vraie, et la moto, en l'occurrence not' motard préféré, Patrick Pons, dont j'ai laissé à regret, en fuguant, les posters de ma chambre! J'suis un fana de Patrick! Surtout depuis qu'il est devenu champion du monde l'an dernier! Mon copain et moi,on a jamais raté un Bol d'or! »
Laissons le jeune Jimmy à son soliloque. A la décharge de l'adolescent fugueur, les routes secondaires de l'Auvergne, plus exactement celles qui longent les puys, avec leurs imprévisibles lacets et méandres où des plaques de verglas peuvent subsister jusqu'à l'époque des saints de glace, réservent parfois de mauvaises surprises.
Par chance -mais, rétrospectivement, cela a-t-il été vraiment de la chance? - Jimmy Prunier, à la sortie d'un virage, aperçut à distance, sur le bord de la chaussée, à proximité d'une sorte d'abri naturel entouré de broussailles, une espèce de moine endimanché, apparition pour le moins inattendue dans ce désert anormal. Il était vrai que décidément, tout dans cette aventure avait la fâcheuse tendance de tourner à la bizarrerie.
« Quelqu'un! Merde! C'est un religieux! Faut pourtant bien que j'm'arrête pour lui demander mon chemin! M'a tout l'air d'un drôle de mec! Pourvu qu'il me demande pas de partager avec lui un modeste et frugal repas tout en exigeant que j'récite au préalable un bénédicité! » ne put s'empêcher de penser le jeune homme. Malgré tout, il décida de freiner et de s'arrêter à hauteur du moine.
L'individu était décidément étrange : il était mi-baba, mi-monacal. Il portait une vieille bure de carme déchaussé tout en arborant des croquenots salis par de la boue séchée. Par-dessus cette robe de moine, le gars avait enfilé un vieux pull pure laine vierge, tout miteux, troué et effrangé,d'un vert émeraude passé, de style vaguement marin, un de ces pulls qu'adoraient les militants écolos, ceux qu'on appelait les verts Goldfec'h. Sa barbe brune, encore plus fournie que celle de monsieur Agostini, où pas un poil blanc n'était décelable, lui donnait un look crado, aggravé par le fait qu'il était coiffé d'un béret basque franchement moche, pour ne pas écrire vieillot et carrément ringard! Son visage était buriné du fait qu'il avait tout du bonhomme accoutumé à vivre en plein air et à coucher à la belle étoile : la bohème de Rimbaud, quoi! Il avait des yeux bleus malicieux, cernés de pattes d'oie et un front labouré de rides. Bref, on ne pouvait plus lui donner d'âge : 40, 50 ou 60 ans? Peu importait, tellement il avait l'aspect d'un clodo! Il réagit sacrément bien à l'arrivée de Jimmy. Son regard s'illumina et, aussitôt les gaz coupés, il questionna :
« Alors, mon jeune ami? Que voulez-vous? »
Jimmy entendit qu'il parlait avec un accent auvergnat chuintant : l'homme était donc du coin et devait connaître la contrée comme sa poche. Quel coup de pot!
Notre motard hésita avant de répondre : il avait remarqué dans la main droite du moine une espèce de statuette en bois à la fois très schématique et très vieille, qui ressemblait vaguement à la reproduction tout à la fois naïve et grossière d'un bras humain. Observateur, le « carme » ajouta :
« Je vois que ma statue vous intrigue. Je suis archéologue, et ce que vous voyez est un ex-voto anatomique gallo-romain comme ceux découverts à la Source des Roches, près de Chamalières voici une douzaine d'années.
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http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/3/35/Ex-voto_gallo-romain_Halatte_070908_04.jpg/120px-Ex-voto_gallo-romain_Halatte_070908_04.jpg
- Excusez-moi, euh...mon père. Je cherche la route de Riom. C'est pour aller chez un copain. »
Finit par demander Jimmy.
Apparemment, le « moine » n'était pas au courant de la fugue que la presse locale avait relatée.
« Je vais vous répondre, jeune homme. Mais déclinons notre identité. Mon nom est Alain Lavignac, mais appelez-moi le père Alain.
- Jimmy Prunier. »
Ils se serrèrent la main.
« Il est de mon devoir de chrétien de vous aider, reprit le père Alain. Je suppose que, tout aussi imprévoyant que les autres jeunes de votre âge, vos avez oublié de vous munir d'une carte routière.
- Ben, c'est que j'suis tout de même de la région!
- Pour ma part, je préfère utiliser dans mes déplacements une vieille carte d' État major d'avant-guerre. Je ne sais pas pourquoi, mais les actuelles cartes ne me satisfont pas : elles omettent une foultitude de chemins de traverse qui pourtant, étaient encore couramment utilisés jusque dans les années 1930! Ainsi, je connais un raccourci pour Riom qui passe par une vieille départementale désaffectée -oui, ça existe, mon jeune ami!- et cet itinéraire que je qualifierais de délestage vous permet de gagner trois-quart d'heures par rapport à la route officielle! »
Pour étayer sa démonstration, le père Lavignac a tiré de sa bure un vieux machin mal foutu, un plan tant de fois consulté, plié et déplié, qu'il était déchiré aux pliures, maculé de taches de graisse et de café et j'en passe!
« Ce plan date de 1934 et, croyez-moi, il est bien plus fiable qu'un « Michelin »!
Il étala le document défraîchi, renforcé par maints scotchs jaunis, sur une roche plate et moussue d'humidité. Pour étayer ce qu'il allait donner à Jimmy comme infos, il sortit un crayon rouge épais à l'extrémité rongée par un mec nerveux qui avait l'habitude de mâchouiller tout ce qui lui tombait entre les mains et qui avait une forme cylindrique : bics, bâtons de réglisse, portes-mines en plastique, effaceurs d'encre, bouts de « Conté » HB etc.
« L'ancienne départementale est très sinueuse. Il faut franchir un vieux tunnel, au bout de dix kilomètres, tunnel qui date de 1836, puis tourner au chemin vicinal à droite avant de rejoindre l'axe principal pour Riom, qui ne sera plus qu'à trois kilomètre. C'est comme si cette route de traverse abolissait non seulement l'espace, mais aussi le temps! »
Jimmy pensa que le prêtre en faisait un peu trop et que, connaissant la propension des merdeux comme lui à s'intéresser à tout ce qui revêt une aura de mystère, à lire assidûment des bouquins assez cons du genre « L'aventure mystérieuse », où rien n'est en fait scientifiquement et archéologiquement étayé, il avait trouvé un gogo à appâter. Bref, Jimmy comprit qu'il avait affaire à un de ces farfelus de la race des Daniken, Charroux et autres Jacques Bergier, auquel R.V. avait d'ailleurs rendu hommage dans un album de Pinpin remontant à 1968 « Vol 314 pour Djakarta .»
« Si ce chemin est désaffecté et absent de toutes les cartes routières modernes, c'est sûrement à cause du tunnel qui n'est plus aux normes de la circulation moderne : trop étroit, pas éclairé, à la voûte fissurée et j'en passe! continua le père Alain. Selon la rumeur, on l'aurait condamné en 1938, après une mystérieuse disparition : une bétaillère chargée de vaches salers, volatilisée à jamais : on ne retrouva ni le conducteur, ni le proprio du troupeau sur la place passager, ni à fortiori les bestiaux! Des espèces de sorciers se réclamant des temps druidiques et arvernes affirment que les lieux sont hantés par les esprits des momies des Martres et par les anciens dieux gaulois!
- Les momies des Martres?
- Avez-vous entendu parler, jeune homme, de la momie gallo-romaine des Martres d'Artière, qui est justement de la région de Riom?
- J'avoue que pas du tout, mon père.
- Il s'agit d'un enfant gallo-romain d'environ douze ans, momifié naturellement, qui est exposé dans les collections d'anthropologie du Musée de l'Homme, au Palais de Chaillot. Sa découverte remonte à 1756. Il est assez hideux à voir avec sa langue qui saille et son crâne dégarni... Il a comme des restes de bandelettes aux jambes...
- Le Musée de l'Homme, Paris... Ça me dit quelque chose...
- D'où êtes-vous?
- Ben, de Clermont-Ferrand.
- Et je parie que vous n'avez jamais mis les pieds au musée d'archéologie, absolument remarquable, de Clermont, du fait que mon ex-voto, que dis-je mon « xoanon » gaulois,
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vous a plus qu' étonné! Les collections de ce musée, outre les formidables ex-voto de la Source des Roches de Chamalières, recèlent des restes funéraires des Martres remontant à la Gaule romaine : sarcophages de plomb, vestiges de vêtements -braies, chaussures -comme celles des Gaulois d'Astérix-, manteaux à capuchons, torques, restes osseux, plus ou moins momifiés, parfois des squelettes complets où adhèrent encore des chairs racornies... Au fait, faites-vous bien la différence entre le votif et le propitiatoire? De même, réalisez-vous que les ex-voto gallo-romains constituent non seulement un témoignage émouvant, irréfutable, non seulement en ce qui concerne l'histoire religieuse, des mentalités, mais aussi de l'existence, en quelque sorte, d'une forme fruste d'art primitif occidental?
- Holà, doucement mon père, j'vous suis pas trop!
- Sachez, mon jeune ami, s'enthousiasma le prêtre, que les arts primitifs ne sont pas qu' extra-occidentaux : voyez les arts préhistorique, celte, viking, barbare, carolingien, même l'art roman à l'occasion, pour ne pas parler des arts populaires européens et français, qui ont à juste titre droit à leur galerie au musée de l'Homme – où j'ai eu le privilège de rencontrer la conservatrice spécialiste des arts bretons, madame Gabrielle Marcoux-Benoist - et à leur lieu sanctuarisé au musée national des ATP et ce, depuis cinq ans!
- Désolé, ça m' dépasse et j' perds le fil! Vous vouliez d'abord m'expliquer la différence entre votif et propi, propri... ah! Merde! Quel mot compliqué!
- Propitiatoire, jeune homme! La propitiation précède et le votif suit. Le rite propitiatoire demande aux dieux qu'ils interviennent en votre faveur : il s'agit souvent d'une offrande, d'un sacrifice -rappelez-vous Michelet évoquant ces atroces sacrifices humains gaulois dans des mannequins d'osier -hé oui, jeune homme, les Gaulois n'étaient pas aussi gentils que dans les bandes dessinées d'Astérix...
- J' préfère lire « Taranis » dans « Pif Gadget », m'sieur, euh, mon père... Raphaël Marcello, qui dessine aussi « Docteur Justice » est vachement bon! Il a un sacré coup de crayon!
- Bref, je reprends. Les rites propitiatoires sont souvent des offrandes sacrificielles. Certes, on peut se contenter d'eau lustrale, de fruits, mais il y a en général holocauste...
- Mince! J'pense au feuilleton diffusé l'année dernière sur l'extermination des juifs par les nazis... Salaud d'Erik Dorff! Et Himmler, putain, la scène du massacre à la mitraillette dans la fosse... J'ai vu un reportage à la télé y a pas longtemps sur Simon Wiesenthal. Y parlait des criminels de guerre et contre l'humanité nazis qui restaient encore à retrouver, dont le docteur Mengele et un sinistre officier SS, Von Kulm, mystérieusement introuvable depuis 1945, qui aurait d'ailleurs été présent lors de la fameuse scène d'exécution à la mitraillette reconstituée dans « Holocauste ». Le seul témoignage fiable sur Von Kulm postérieur à 45 était celui d'un ancien guérillero bolivien en exil qui affirmait la présence du SS en 1967 en Bolivie parmi les participants à l'assassinat de Che Guevarra. Y déclarait que Von Kulm avait pas bougé physiquement d'un iota depuis les photos des années quarante, que le reporter lui montrait, comme s'il avait voyagé dans l'temps pour passer directement de 1945 à 1967! Simon Wiesenthal lançait un appel solennel pour qu'on continue à traquer ce salaud, où et quand qu'il soit!
- Hem, mon jeune ami, si nous parlions encore de l'antiquité?
- Ah, oui, les holocaustes des Romains! S'cusez-moi, mon père!
- Donc, les Romains offraient des sacrifices d'animaux -comme d'autres peuples – pour que les dieux consomment la viande puis agissent en leur faveur!
- Y sacrifiaient des moutons, des béliers, des boucs et d'la volaille?
- Il existait des rituels lourds : le suovetaurile notamment, où, si l'on peut dire, le porc, le mouton et le taureau passaient à la casserole. Tout cela s'inscrivait, certes, avec beaucoup de formalisme s'agissant de la religion officielle romaine, dans ce qu'on désigne en latin par l'expression de do ut des, « je te donne pour que tu me donnes. » Quant aux rites votifs, ils étaient là pour remercier le ou les dieux après que l'intercession ait été obtenue par la prière, que la divinité ait réalisé le souhait du croyant. Ainsi, les ex-voto remerciaient les dieux pour les guérisons miraculeuses, qu'il s'agisse du panthéon gaulois ou romain d'importation.
- Ben, c'est comme le culte des saints guérisseurs et intercesseurs. Y a toujours des ex-voto dans les églises!
- Le christianisme a beaucoup emprunté aux païens : il a adapté les vieux rites. Mais notre conversation s'éternise et c'est l'itinéraire qu'indique ma carte qui doit vous importer. Ne tenez pas compte des vieilles légendes circulant sur cette route « interdite », hantée par les souvenirs de Belenos, d'Épona, de Toutatis, de Cernunnos et compagnie...
- J'ai une feuille : j'recopie l'itinéraire!
- Je vous prête mon crayon.
- Merci, mon père. »
Après que Jimmy eut terminé de recopier le tracé du père Lavignac et rendu le crayon vint l'instant de se dire au revoir.
« Vous ne risquez pas de vous tromper, jeune homme. L'entrée de la route est à droite, dans deux kilomètres, et de vieilles barrières de bois à moitié pourries la ferment : vous n'avez qu'à descendre de moto pour les enlever : elles ne tiennent plus en place. Après, vous longerez une forêt avec des lacets jusqu'au fameux tunnel où il vous faudra encore ôter une ancienne clôture, à moins qu'il n'y ait plus rien. Faites attention aux nids de poules et aux fondrières!
- C'est entendu, mon père! Au revoir et bonne fin de journée! Et encore merci pour votre aide!
- Il n'y a pas de quoi, c'est normal! Au revoir, jeune homme! Que Dieu vous garde! »
Jimmy redressa la moto, remonta sur la selle et mit les gaz. Une pétarade, un retour sur la route, un virage où il disparut aux yeux du prêtre archéologue et érudit.
« Pourvu que les dieux celtes ne soient pas courroucés de cette intrusion dans leur domaine! » pensa le père Lavignac.
*************
Au bout des deux kilomètres, comme indiqué sur le plan, Jimmy tourna à droite et tomba sur le débouché de la vieille départementale, barrée comme il se devait par de vieux panneaux de sens interdit corrodés et décolorés accrochés à des barrières de bois d'aspect vermoulu : cette signalisation dérisoire, peu dissuasive au fond, devait pratiquement remonter à l'avant-guerre!
Jimmy ne prit même pas la peine de couper les gaz avant de descendre de la Yamaha, pensant qu'enlever cette installation serait un jeu d'enfant. Pour l'instant, tout se déroulait normalement. Jimmy ne s'était guère posé de questions sur les étonnantes connaissances du moine archéologue : il était de la contrée, un point c'est tout. Or, non seulement les barrières, quoiqu' apparemment pourries, s'avérèrent plus lourdes que prévu, mais, en plus elles parurent être comme habitées d'une volonté de résistance propre!
« Ah, la vache! Ces saloperies pèsent drôlement! s'exclama l'adolescent à voix haute. Et l'espèce de moine qui disait que ça serait fastoche de les enlever ! »
A force de persévérance, et parce qu'il était jeune, costaud et bon en sport, Jimmy parvint à soulever les barrières. A l'instant où il jeta la dernière à terre, il y eut comme une sorte de rafale de vent qui s'engouffra hors du chemin ainsi dégagé, comme libéré d'une prison multi-séculaire, accompagné d'un sourd mugissement bestial, tel celui d'un antique aurochs préhistorique à l'image du taureau de Lascaux. Jimmy eut l'impression de sentir le souffle chaud des naseaux d'un bovin de taille imposante sur le visage, mais il ne vit rien.
« Mince, qu'est-ce qu'c'était? Y a vraiment des fantômes par ici! »
Pendant ce laps de temps, le moteur de la bécane avait continué à tourner. Jimmy n'eut qu'à remonter sur la selle et à s'engager sur la voie de traverse enfin libre d'accès.
« Gaffe aux nids de poule! J'suis pas un as du moto cross! » ne tarda pas à constater le jeune homme tant la moto cahotait sur une chaussée déformée et creusée de trous multiples, en l'absence de toute intervention des cantonniers et des services départementaux depuis plus de quarante ans! Il y avait de nombreux tournants et la petite route était bordée par une forêt si touffue, si profonde, qu'on se serait cru au crépuscule tellement la cime de ces feuillus était haute, leur ramure fournie jusqu'à faire écran au soleil, dans un ciel pourtant printanier à peine nimbé d'altostratus et de cirrostratus.
A un virage, Jimmy aperçut un objet singulier : un vieux charreton, aux roues pleines, archaïques, constituées de plusieurs pièces de bois, auquel était attelé un joug avec un squelette de bœuf.
« Merde, quoi encore? On dirait un char à bœufs d'Astérix! »
Encore vingt mètres et ce que Jimmy vit fut des plus bizarre : de chaque côté de la voie s'alignaient des créatures tressées dans la paille, à la forme parfaitement identifiable, en cela que ces « sculptures » de foin représentaient des rapaces nocturnes : hiboux petit, moyen et grand duc, chouette, effraie, hulotte etc. Signes d'avertissement, de mise en garde contre l'importun qui osait violer un territoire interdit?
Au lieu de la manifestation d'un art naturaliste, animalier, gaulois ou autre, rudimentaire et naïf, d'une ronde-bosse à dessein primitive employant des matériaux théoriquement périssables, Jimmy préféra interpréter ces oiseaux comme autant d'épouvantails inversés. Comme dans ces vieilles images d'Épinal du XIXe siècle illustrant le monde renversé (la femme battant son mari, le bœuf irascible écorchant le boucher, le lapin tuant le chasseur...)
notre motard songea qu'il avait affaire à des épouvantails à hommes dressés là par des adorateurs inconnus de dieux rapaces immémoriaux. Un instant, le jeune homme eut l'intention de rebrousser chemin, mais cette pensée l'abandonna aussitôt. Il ne sut pourquoi, mais quelque chose le poussait à aller de l'avant : c'était comme si une volonté supérieure s'imposait à lui. Le goût de l'inconnu, de l'aventure, l'emportèrent. Il appuya sur la manette des gaz, accélérant jusqu'à 100 en ligne droite, malgré le risque de rencontrer des trous.
Au fur et à mesure que Jimmy progressait sur cette départementale semée d'embûches, d'ornières et de fondrières, la sylve paraissait s'épaissir, proliférer anarchiquement par poussées de futaies, et les lieux s'enténébraient. Bientôt, le phare de la Yamaha fut allumé : pourtant, la toquante de Jimmy, une belle montre de plongée que Bob, son parrain, lui avait offerte pour son anniversaire, marquait à peine 15 h 30 et nous étions à l'heure d'été! Bob, qui portait de vieux shorts élimés à longueur d'été et passait son temps à jurer! L'adolescent eut le sentiment de perdre peu à peu la notion du temps et de l'espace.
Ces bois épais rappelaient à Jimmy la forêt druidique des Carnutes, mais aussi celle de Blanche Neige, non pas comme dans le conte de des frères Grimm, mais telle que représentée dans le célèbre dessin animé de Walt Disney, avec ses arbres morts, sinistres, tendant leurs branches dénudées comme autant de bras décharnés aux mains crochues. Il y avait effectivement des troncs pourris, couverts de champignons, rongés de parasites xylophages ; des nids de guêpes polistes impressionnants s'accrochaient encore à l'écorce comme autant de tumeurs boursouflées. Des insectes agressifs bourdonnaient autour de ces nids et il ne fallait pas s'y frotter!
Le macadam lui-même prenait une consistance bizarre et semblait s'être détaché par plaques à certains endroits, dévoilant une trame, une structure antérieures : non pas de ces pavages du XIXe siècle, voire du XVIIe, casse-gueule à souhait, irréguliers, aux arrêtes émoussées, d'ailleurs rongés par le lichen, mais carrément des dalles à la semblance de celles des anciennes voies romaines ou chaussées Brunehaut, en cela que la sinistre reine mérovingienne était réputée avoir restauré certaines de ces antiques voies de circulation... et quelques-unes de ces mêmes dalles, verdâtres de mousse séculaire, craquelées, apparaissaient comme déracinées.
Jimmy éprouva une fascination croissante pour cette forêt celtique arverne mais il pensa qu'en même temps, il l'avait violée en la pénétrant. Et si tout cela n'était qu'un piège tendu par le père Lavignac dont l'apparence l'avait trompé? Si Lavignac était en réalité un druide caché sous la défroque du chrétien, un sectateur du paganisme qui avait déniché une proie qu'il offrait en sacrifice au dieu sylvain de la contrée? Un sacrifice humain... La forêt était un être vivant, une divinité qui se nourrissait de la chair des étrangers qui osaient emprunter la route, sorte de veine parcourant l'entité tout entière. Pour Jimmy, le père Lavignac était de cette race d'imposteurs archéologues, gardien de secrets inavouables, qui camouflaient leurs vraies activités, occultes, sous des défroques débonnaires, sous une apparence placide et affable. Peut-être faisait-il aussi partie de cette clique qui fabriquait des canulars archéologiques à tout-va, afin de détourner l'attention des scientifiques, canulars qui avaient eu pour nom Piltdown et Glosel, le but étant de discréditer la science officielle, la civilisation de l'Homme moderne, technicienne, au profit d'une conception plus que réactionnaire, naturaliste, pseudo-originelle de l'humanité rejetant tout matérialisme et toute technologie.
Jimmy entendit un craquement sur sa droite. Allait-il rencontrer un nain de Blanche Neige, tant qu'on y était? Ce fut un sanglier qui surgit, comme traqué et affolé. Jimmy voulut l'éviter. Il dérapa : la bécane glissa jusqu'au bord d'une fosse. Il évita la chute de justesse. Était-ce un piège tendu à quelque animal sauvage : ours, loup ou autre chose? Non! Cette fosse avait une finalité funéraire : c'était une tombe, une tombe exclusivement consacrée aux chevaux, surprise archéologique de taille pour l'ado en cavale, mais aussi pour les spécialistes des Celtes de 1980!
Cinq spécimens reposaient dans la fosse, couchés sur le flanc gauche, squelettes équins portant encore des restes de leur harnachement : mors, montant de bride, poitrail, ornements de selle en cuivre verdi et en fer oxydé de l'époque de La Tène. Et la chose qui poursuivait le sanglier sortit d'une frondaison, en trombe, brisant les branches. C'était un cervidé d'une taille colossale, de plus de deux mètres au garrot, à la robe curieusement mouchetée, comme celle des faons et des daims, au corps musclé et robuste. La tête était bien celle d'un cerf, mais la ramée, formidable, dépassait celle des plus beaux vingt-quatre-cors qu'aurait envié tout amateur collectionneur de trophée cynégétique du fameux musée parisien « de la Chasse et de la Nature.» Ces bois ressemblaient, en disproportionné, à ceux d'un élan, caribou ou orignal canadien.
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« Un mégacéros préhistorique! Un cerf irlandais! » s'exclama Jimmy, qui allait de surprise en surprise. La bête fabuleuse et antédiluvienne passa en grondant et soufflant, sans demander son reste. Elle dégageait des remugles sauvages à faire vomir. Jimmy se releva : son jean était certes déchiré aux genoux, mais il n'avait pas d'écorchures ; de même la moto n'avait rien : la roue avant n'était même pas voilée et le garde-boue à peine rayé. Pas de fuite au réservoir non plus. Jimmy coupa les gaz, se reposa cinq minutes sur une souche de chêne pour récupérer de toutes ses émotions, puis repartit. Le tunnel ne devait plus être loin, maintenant.
**********
Jimmy ne tarda pas à rejoindre une clairière. A plusieurs lacets de là, il aperçut l'embouchure du fameux tunnel, en contrebas. Il restait environ 800 mètres à parcourir. La Yamaha amorça une descente en lacets. Au premier tournant, elle franchit une sorte de porche ou de portique de pierre de taille gravé d'entrelacs comme ceux des évangéliaires irlandais du Haut Moyen-Âge. Ce portail, d'une facture architectonique fruste, ne donnait sur aucune structure bâtie. Il était creusé de niches, d'alvéoles où étaient encastrées des têtes humaines coupées, crânes dont quelques uns s'étaient momifiés naturellement, témoignages des sacrifices humains pratiqués autrefois par les Arvernes, comme ces statues gallo-romaines où l'artiste anonyme avait mis en scène un guerrier en cuirasse arborant, tel un trophée, le chef d'un ennemi décapité.
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Jimmy eut l'impression de franchir quelque entrée de train fantôme ou d'être avalé par une gueule de dragon des enfers tel que l'aurait représenté un sculpteur du cru remontant à l'époque romane, qui avait officié notamment à Issoire, Amaury de Saint-Flour, sur lequel couraient les légendes les plus folles, légendes liées au phénomène démoniaque auquel les esprits primaires de ces temps barbares croyaient dur comme fer.
« Ça devient pire qu'à Luna Park! » pensa le fugueur. J'ai absorbé aucune substance illicite avant d'partir! J'ai pas sniffé de neige ni fumé un joint, ni de l'herbe ou pis, du hasch! Donc, c'que j'vois n'est pas une hallucination! »
Il fallait le dire : la dernière section de route avant le tunnel était une véritable nécropole! Des ossements de chevaux et d'êtres humains parsemaient le terrain, et il y avait même des débris corrodés d'armes anciennes, de torques, d'ombilics de boucliers, d'enseignes au sanglier vert-de-grisées par les siècles, de carnix, de casques et de cuirasses : une grande bataille s'était livrée là, en un temps immémorial, vestiges improbables de la guerre des Gaules, des révoltes de Sacrovir, de Sabinus et d'autres, et les squelettes épars rappelaient au fugueur cet extrait de « La guerre de Troie n'aura pas lieu » de Giraudoux, que Monsieur Agostini avait fait analyser en classe quelques semaines auparavant. Jimmy huma une odeur entêtante de chair grillée, sacrificielle, comme celle du taurobole antique. Outre des amas fumants, indéfinissables, dont il valait mieux ignorer la nature exacte -humaine ou animale?- Jimmy remarqua à sa droite une espèce d'autel à claire-voie, surélevé comme une sorte d'estrade, dont les matériaux de construction mêlaient le pisé, le chêne et la pierre de taille. Les senteurs immondes provenant de cette construction piquaient les yeux et le nez, tant ces effluves abjects étaient puissants.
« C'est quoi, cette horreur? J'veux en avoir l' cœur net! »
Vu que le terrain était peu accidenté, il quitta la « départementale » et roula sur une surface herbue et sèche, où on constatait de-ci, de-là, des auréoles de calcination, comme ces prétendues traces de décollages de soucoupes volantes des bouquins à sensation de «L'aventure mystérieuse » dont s'abreuvait le jeune biker. En fait, c'étaient des traces plus anciennes de bûchers de crémation des viandes sacrées.
Jimmy eut certes le courage d'arrêter la moto, une fois à hauteur du monument funèbre, mais il ne put s'empêcher d'avoir un haut le cœur, et il rendit son déjeuner.
L'autel, une fois de plus, constituait la prémonition d'une découverte archéologique future, de celles qui modifieraient en profondeur le regard porté sur nos ancêtres les Gaulois. Il s'agissait à proprement parler d'un charnier-autel à claire-voie, exposé à tout vent. Ce monument innommable avait pour fonction, spectaculaire, de commémorer une grande victoire sur des ennemis à jamais inconnus quoique gaulois eux aussi.
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Debout, sur des claies, en rangs serrés, des cadavres étêtés en armes : bouclier, lance, glaive. Ces impedimenta étaient celtes, pas romains, à moins qu'il s'agisse des équipements militaires de ces prétendus traîtres éduens, mais nous n'étions pas en Bourgogne, là où les Eduens avaient leur célèbre oppidum, Bibracte. Ces dépouilles exhalaient une puanteur indicible : elles pourrissaient à l'air, mets de choix pour les vers, les corbeaux et les mouches qui grouillaient autour de ces cadavres. Jimmy en conclut qu'une partie des têtes de ces malheureux vaincus, ainsi sacrifiés, étaient encastrées dans les alvéoles du portique de tout-à-l'heure. Quelques corps étaient déjà à l'état de squelettes, d'autres, pas encore tout-à-fait décharnés, avaient subi un phénomène naturel de dessiccation. Pour une autre partie, lorsque la putréfaction avait fait son œuvre, le mort décapité s'affaissait puis s'effondrait, entraînant ses armes avec lui. Jimmy eut la sensation que des fumeroles planaient au-dessus de l'autel, sortes de feux-follets issus des gaz de décomposition. Victime cette fois-ci de son imagination, le jeune homme crut qu'elles prenaient des formes fantomatiques, spectrales, tels ces morts sortant de leur tombe, os horribles enveloppés de leur suaire, se rendant au sabbat du démon dans « La nuit sur le Mont Chauve » de Walt Disney dans Fantasia. Puis, il y a eu ce souvenir de huit ans en arrière : le squelette fluorescent, dans son linceul bleu, semblant flotter dans la pénombre de ce fameux train fantôme qu'il avait pris avec son père, avide de sensations fortes. Jimmy se rappela ces lascars déguisés, l'un en gorille (il avait eu particulièrement peur de ce mec avec sa pelisse de King Kong), l'autre, encore en squelette, aux os peints, au collant fluo, avec son ridicule rictus macabre, qui bondissait sur le wagonnet, accompagné par le fond sonore typique de cris, de hululements et de plaintes spectrales ou de damnés de cette attraction foraine kitch. Jimmy énuméra les monstres les plus marquants : la pieuvre, l'araignée de mer, le vampire, la sorcière et son chaudron, le pirate squelettique avec les écus, les boyaux de dragon qui s'ouvrent au passage du wagon, généralement « poussé » en sa partie postérieure par des mannequins de diables grossiers en papier mâché ou en carton-pâte, cornus et aux poils rêches,
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les cyclopes en métal, plats et fins, mal foutus, tout bêtement peints, qui s'écartent et s'entrechoquent avec leurs maillets, créatures chthoniennes des forges de Vulcain, vêtues de simples pagnes de cuir, au fond semblables aux célèbres jaquemarts de l'horloge de la place Saint-Marc, 
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velus médiévaux vénitiens, tels Charles VI le fou et ses acolytes du Bal des Ardents de l'an 1393,
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représentés dans cette naïve miniature avec leurs costumes d'hommes sauvages dont la poix et l'étoupe dont ils s'étaient enduits s'étaient enflammées à cause d'une torchère imprudemment approchée par un quidam et qui hurlaient, paraissant danser une grossière tarentelle en secouant dérisoirement les flammèches qui les léchaient. Le style du peintre miniaturiste, postérieur à l'événement, puisque la gente Dame qui sauvait le roi fol en l'enveloppant d'une étoffe arborait un hennin, illustration de la leçon sur la Guerre de Cent Ans de l'ancien manuel d'Histoire de cinquième de Jimmy, ne valait ni Van Eyck, ni le maître de Flémale. A l'entrée du manège forain, il y avait aussi ce singe d'Insulinde suspendu à un bras, l'autre tenant un gourdin, dont on ne savait plus si c'était un mannequin fort bien reproduit, figurant quelque propliopithèque, sivapithèque et ramapithèque ou singe de Rama
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des strates du Miocène, ou un authentique simien empaillé, gibbon, hylobate lar ou siamang. Le train fantôme en question ne portait-il pas le nom pompeux et ronflant de « Continental Orient », sorte d'Orient Express de la peur? Jimmy regrettait qu'en France, il n'y ait pas le pendant inversé du train hanté comme couramment dans les Luna parks américains, ces fameux tunnels de l'amour qu'on voyait dans les vieux films hollywoodiens, par exemple « Demoiselle en détresse », avec Fred Astaire et la starlette débutante et maladroite Deanna Shirley De Beaver de Beauregard, dont l'apparente candeur contrastait avec une existence dissolue bien connue des tabloïds et des commères de la Mecque du cinéma, une vie de bringue et de bamboche où l'appétit d'ogre de la donzelle (qui ne prenait jamais un gramme et brûlait tout), fort réputé, surpassait celui d'un futur chancelier allemand des années 1990, Hans Gemüse[1] 1...
Jimmy en avait assez vu : il reprit la route et parvint enfin à l'entrée du tunnel. Là, première surprise : il n'y avait strictement aucune barrière, contrairement aux propos tenus par le père Lavignac qui, après tout ne savait pas s'il y aurait ou non effectivement une clôture. Par contre, d'autres visions incongrues se manifestèrent : des masques d'applique et des statuettes en bronze du panthéon gaulois paraissaient garder l'embouchure, suspendus à la voûte par des filins invisibles. Jimmy identifia Esus,
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Belenos,
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Épona sur son cheval,
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le Mercure gaulois avec son caducée, Borvo,
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Toutatis ou Teutatès,
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Belisama, Cernunnos avec ses andouillers de cerf, 
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Tarvos Trigaranus, le taureau tricornu (un exemplaire sculpté existait au musée archéologique de Besançon)
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dont le dos était surmonté par des sortes de grues jacassantes et cancanantes,
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sans oublier une divinité barbue, anonyme, tenant un marteau comme Thor, ou plutôt un maillet,
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dont le nom s'était perdu à jamais du fait de la romanisation puis de la christianisation forcée effectuée par des évêques zélés dont les exploits plus ou moins légendaires alimentaient les chroniques médiévales édifiantes et autres vies de saints[2]2. Jimmy n'eut cure de ces ultimes mises en garde, de ces avertissements païens. Sans hésiter, il mit les gaz et s'engouffra dans le boyau bâti sous Louis-Philippe. A l'extrémité, il atteindrait la route de Riom et se réfugierait enfin chez son copain Pascal.

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RAS pendant les premiers mètres : Jimmy se rassura. Les pierres étaient certes un peu vermoulues, la voûte un peu fissurée, verdie par la mousse et par la moisissure, quelques étançons visibles d'une paroi à l'autre. Il n'y avait plus d'éclairage électrique : celui-ci avait rendu l'âme depuis longtemps et le biker alluma le phare de la Yamaha. Un premier virage et une première surprise : le tunnel se divisait.
Deux voies possibles, deux directions : à gauche ou à droite? Ça n'était pas possible! On était pas à Paris, dans le métro! Jimmy s'énerva : encore un mensonge de Lavignac! En colère, il s'auto-apostropha en s'appelant en verlan :
« Sacré Mmyji Nierpru! Ce mec t'a entubé! Jura-t-il. Hé ben, j'prends à gauche, on verra bien! »
Encore vingt mètres: trois nouvelles subdivisions.
« Là, c'est impensable! J'vais revenir en arrière et reprendre la voie de droite! »
Demi-tour : à la stupéfaction de Jimmy, il n'y avait plus ni bifurcation, ni même d'entrée initiale.
« Merde de merde! Où est-ce que j'me suis fourré? Ça tourne à cette BD fantastique médiévale de De Groos, « La boucle de néant », que j'ai lue dans « Sparrow » y a quelques années! Ce tunnel est sacrément truqué, et j'suis condamné à aller de l'avant! J'vais foncer et prendre au hasard le boyau médian : j'finirai bien par déboucher quelque part! »
L'adolescent s'exécuta : il y eut deux autres carrefours avec un choix de quatre voies, puis de nouveau seulement deux.
« Putain! J'sais plus du tout où j'suis! C'est un piège à con! J'rebrousse encore chemin! »
Mais Jimmy dut se faire à l'évidence : chaque fois qu'il choisissait un chemin au lieu d'un autre, l'itinéraire délaissé s'effaçait, comme s'il n'avait jamais existé.
« Là, j'deviens fou! J'ai plus guère le choix! J'vais foncer à fond la caisse, prendre n'importe quel tunnel et à-Dieu-vat! »
Et il accéléra, accéléra... les boyaux se multipliaient, les subdivisions les plus aléatoires pullulaient, carrefours à deux, trois, quatre, cinq, jusqu'à douze options différentes, véritable réseau diabolique qui se ramifiait indéfiniment, où s' abolissaient toute notion d'espace, de repère, de distance, de temps enfin. La moto fonçait maintenant avec une telle vélocité, enchaînant les tunnels, prenant tantôt l'un, tantôt l'autre, tandis que les choix non effectués s'estompaient définitivement, potentialités de départ qui, une fois rejetées, n'avaient plus lieu d'exister, probabilités mathématiques, temps alternatifs dépendant autant de la contingence, du hasard que des options prises individuellement, qui décident du destin de tout un chacun, que Jimmy eut l'impression qu'il avait dépassé depuis longtemps la vitesse limite maximale indiquée par le compteur, ainsi que les capacités physiques de sa mécanique...
A combien filait-il? 200 km heure, 250, 300, plus? L'appareillage de pierre n'était même plus apparent tellement l'engin roulait à tombeau ouvert. Il n'y avait plus que de vagues lignes d'un gris sale. Et les phénomènes de déphasage optique, voire physique, commencèrent... Le motard en devenait transfiguré, perdant de plus en plus son acception, sa nature humaine, biologique... Le réseau infini devenait à la semblance de l'arborescence de l'évolution du Vivant et des neurones humains, sans omettre une structure tubulaire infinie non encore appréhendée en 1980, celle des super amas de galaxies. Ce fut une réalité autre, à la fois quantique, fractale et digne de l' infiniment grand, espace d'Einstein, de Mandelbrot et de Max Planck, qui se substitua au monde euclidien familier à Jimmy. Les distorsions spatiotemporelles et les diffractions lumineuses se multiplièrent. Il y eut un Jimmy kaléidoscopique et prismatique, déphasé en plusieurs exemplaires diffractés et fractals... La bécane aurait dû s'arrêter depuis longtemps, son carburant épuisé, mais une force cinétique inconnue l'entraînait inexorablement dans un microcosme, une bulle de non-temps et de non-espace, disons plutôt un univers bulle isolé du « réel » tel que le perçoivent les humains ordinaires. Passent encore, les impressions d'étirement comme un chewing-gum ou une de ces réglisses en rouleau qu'un mioche féru de friandises pourvoyeuses en caries du tonnerre de Zeus s'amuserait à dérouler sans que ce bonbon ait de fin! Et cette décomposition du spectre lumineux, comme un arc en ciel! Un Jimmy indigo, un autre orange, un rouge dit indien, un vert etc. sans oublier les Jimmy dans l'infrarouge, l'ultraviolet, les rayonnements X, gamma et j'en passe! Mais se sentir soi-même démultiplié en autant d'univers-bulles parallèles, divergeant toujours plus d'un motard originel, au-delà d'un simple reflet de miroir, et ces Jimmy autonomes enfermés dans leur temps propre, eux-mêmes se subdivisant à leur tour en alter-ego qui aussi, connaissent une parturition bactérienne infinie! Un emboîtement de sphères de temps contenues les unes dans les autres, poupées gigognes infinies, mise en abyme de Jimmy dissymétriques toujours plus décalés les uns par rapport aux autres, fractales imparfaites parce qu' hétérochroniques sur le plan non seulement de l'espace-temps, mais aussi du phylum! Des bulles contenant des bulles contenant des bulles... Des Jimmy balayant toute l'échelle des âges individuels, de l'œuf fécondé jusqu'au fossile, de l'archée non encore découverte en 1980 jusqu'à des formes de vie futures ou d'ailleurs, « en selle » sur ce qui n'est plus du tout une moto... Et à l'intérieur de ces sphères de Dyson et de Linde, se dessinaient d'autres arborescences, arbres du vivant, mais aussi de la connaissance, sous l'apparence de buissons-boules à la rotondité parfaite, où la souche originelle était centrale, et d'où partaient une infinité de subdivisions et d'embranchements labyrinthiques dont certains s'éteignaient inexorablement, sans descendance... d'autres débouchant sur on ne savait pas encore quoi.
Jimmy se vit venir lui-même de tous les côtés.... Il crut aller frontalement à la rencontre d'un de ses innombrables doubles, arrivant en trombe à contre sens, accident mortel inévitable entre lui-même et une de ses duplications, un soi, un moi décalé, sur une Yamaha d'un modèle n'existant pas dans ce 1980, un Jimmy dont il doutait qu'il appartienne même à l'espèce humaine car la visière relevée de son casque intégral dévoilait un être à peau cuivrée, duveteuse, aux étranges yeux jaunes en amande, venu d'un ailleurs planétaire indéfini. Au moment du choc -qui ne dura qu'une nanoseconde- au lieu d'être pulvérisé, Jimmy se fondit en son lui divergent : les deux motos ne se télescopèrent pas : elles s'interpénétrèrent, fusionnèrent en une entité unique, combinaison des caractères des deux êtres précédents, telles ces galaxies spirales se rencontrant et se cannibalisant mutuellement!
Puis, d'autres « ados » en goguette, montés sur autant de « motos », surgissant de tous les côtés de tunnels brusquement apparus, venus de nulle part, derrière Jimmy, devant Jimmy, à sa gauche, à sa droite, sous et au-dessus de lui, Yamaha débouchant d'un boyau au sommet de la voûte, pleins gaz, ou s'extirpant d'une autre ramification, jaillissant d'une embouchure à même le sol... et la fusion en quelque sorte catastrophique de tous ces Jimmy engendrait chaque fois un nouvel être, aux caractères partagés, combinés, dérivés, mosaïcaux, comme en un phénomène de macro-évolution, de spéciation, cher aux travaux d'Ernst Mayr, de Nils Eldredge et de Steve Gould. Jimmy devenait une entité melting-pot, un assemblage combinatoire, algébrique et délirant de pièces biologiques rapportées, hétérodoxes autant qu' enharmoniques qui allait plus loin que ce monstre puzzle célèbre qui avait pour nom la créature de Frankenstein. Jimmy composite, hétérogène, combinaison de 1% de Néanderthalien, 1% de Haän, 1% d' Opabinia, 1% de Velkriss, race insectoïde, 1% de Naorien, espèce hybride à la fois végétale et humanoïde, 1% de médusoïde, 1% de siliçoïde, 1% de lémurien, 1% de porçinoïde, 1% de caninoïde, 1% d'éléphantoïde, 1% d'Hellados, 1% de dinosauroïde, 1% d'Asturkruk, de ces mi-humains, mi-calmars qui descendaient d'un Grand Ancêtre, amalgame de seiche et de plongeur sicilien équipé d'un scaphandre Cousteau des années 1950, que le commandant André Fermat avait accidentellement téléporté au cours d'essais d'un appareil révolutionnaire, en cela que cette invention était destinée primitivement à tuer dans l'œuf l'ultralibéralisme en 1970, en son antre de Sovadia Island... Le total de tous ces ingrédients atteignait les 100%, et le divisionnisme s'aggravait encore, chaque élément de la composition du Jimmy récapitulatif des formes vivantes tombant aux proportions de 0,50%, puis 0,25, 0,20, 0,10 etc....jusqu'à l' infiniment petit, l'infime trace. Le néo Jimmy était désormais une pluralité de toutes les formes de vie d'un pan trans multivers, une synthèse de Tout...
Et la moto roulait, roulait, dans tous les sens, n'importe où, n'importe quand, n'importe comment, en avant , en arrière, sur la voûte, tête en bas, sur une paroi ou l'autre, motard de la mort en son anneau, son circuit de fête foraine en cercle fermé, accélérant, ralentissant, étalé à l'infini, grumeaux de l'anté matière primordiale, avant le mur de Planck, l'espace de Planck, ou bien compressé comme un chef-d'œuvre du grand César phocéen (ces fameuses compressions de blue-jeans, de mobylettes et de voitures), Jimmy purée, Jimmy soupe, Jimmy gaz, Jimmy pâte, Jimmy liquide, Jimmy solide, cubiste, roulant en un tunnel d'hélium ou d'hydrogène, aggloméré à l'intérieur d'un boyau-mélasse d'a-matière, de ce qui est incréé et incréable mais avançant tout de même (que signifie avancer dans ce cas?).... Jimmy métal en fusion, éclaté en fragments se mouvant dans un nanomonde quantique où jouait à plein le principe d'incertitude de Werner Heinsenberg, chat de Schrödinger 
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à la fois mort et vif, paradoxe de Langevin
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dans toute sa splendeur, Jimmy baguenaudier chinois électromagnétique, conçu conformément à l'ouvrage scientifique publié par Otto Möll « Tomorrow, electromagnetism »,Faber & Faber editor, Detroit 1959, Jimmy cœur d'une étoile, Jimmy étoile à neutron, naine bleue, blanche ou brune, géante rouge, supernova, trou noir, horizon d'événement de ce même trou noir, avalant l'information puis la restituant, autre, par le trou blanc, de ver, le whormhole, Jimmy ARN nu,
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Jimmy odeur de muguet, aspirée par l'astome d'Aurore-Marie de Saint-Aubain, bouquet embaumant de giroflées cueilli par la jolie blondine de porcelaine aux longues boucles anglaises en son jardin de Rochetaillée vers 1888, 
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qui, un jour deviendrait plus ancienne encore qu'un Gudea, qu'un Sargon d'Agadé,
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perdue à jamais dans le tréfonds incommensurable des strates des temps passés, Jimmy transporté dans l'univers onirique d'un étrange conte parnassien scabreux, très décadent, très fin de siècle, écrit par la même poétesse, peuplé de fillettes diaphanes et vaporeuses aux prénoms surannés vêtues de linge immaculé, de déshabillés débordants de dentelles en point d'Alençon et de padous : Cléore, Ellénore, Adélie, Ombeline, Ysalis, Odinette, Lucinda,

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où résonnaient les échos ténus et éthérés d'une musique impressionniste au debussysme maniéré, Lolitas 1880 (comme Pierre-Jean Jouve
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commit ce roman titré « Paulina 1880 ») ou nymphettes impubères, esclaves d'une maison de tolérance d'un type bien particulier, au décorum décadentiste exacerbé par le libre jeu de sa surcharge es bibelots, maison vouée au culte érotique de quelque dieu indigète porté sur la célébration d'une improbable éphébie saphique[3]3…
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Jimmy unidimensionnel, Jimmy à deux dimensions, comme dans le fameux roman « Flatland » de l'impétrant Abbott, Jimmy quadri, penta, hexa, epta, octo, énnéa, déca, hendéca, dodécadimensionnel... Jimmy icosaèdre, Jimmy de la dimension π, 3,1415 et une infinité de décimales, Jimmy suite mathématique de nombres premiers, négatifs, ordinaux, symbiotiques ( loi mathématique helladienne issue des recherches de Spénélos), Jimmy de branes, de super-cordes, d'un pan trans multivers à onze (familier aux π et à leur plus illustre représentant, Penta π) puis à seize dimensions, certaines enroulées en elles-mêmes.
Puis, tout parut se rétablir. « Jimmy » aperçut, à distance, la sortie du « tunnel ». Mais il vit qu'il était deux!
« Il » roulaient de conserve, parallèlement, côte à côte, sagement, à la même allure, même moto, même motard.... Nouvelle diablerie, ridicule après tous les autres paradoxes bien plus spectaculaires... C'était comme s'il existait un accord tacite entre moi et moi, entre moi l'autre et l'autre moi pour circuler jusqu'à la même destination : le bout du tunnel. Chacun se salua, de ce geste universel et commun à la confrérie des bikers.
Puis, il sembla à Jimmy I que quelque chose n'allait pas.
Puis, il sembla à Jimmy II que quelque chose, décidément clochait.
Jimmy I recommençait à diverger de Jimmy II.
Jimmy II se différenciait de Jimmy I.
Jimmy I s'éloignait quadridimensionnellement de Jimmy II.
Jimmy II se distanciait temporellement de Jimmy I.
Jimmy I avançait ontogénétiquement, s'étiolait.
Jimmy II reculait ontogénétiquement, courait vers la juvénilité.
Et les vêtements de l'un, comme de l'autre, faisaient de même, vieillissant, s'usant pour Jimmy I...
...Devenant de plus en plus neufs pour Jimmy II.
Et la moto de Jimmy I prenait un aspect fatigué.
Et la Yamaha de Jimmy II était en rodage, à peine sortie des chaînes de montage de l'usine nippone.
Le blouson de Jimmy II puait le cuir neuf.
Le blouson de Jimmy I sentait le linge sale, plus lavé, bon pour la décharge.
Le jean de Jimmy II n'avait plus d'accrocs aux genoux.
Le jean de Jimmy I était de plus en plus crado, élimé, déchiré.
Jimmy II est plein d'acné juvénile.
Jimmy I a de la bedaine et des pattes d'oie.
Jimmy II...
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Le gendarme contacta la brigade de Riom à la radio de la 4L :
« Ici le brigadier Lebranchu! Patrouille de surveillance secteur 4! Sortie du tunnel désaffecté de l'ancienne départementale! On vient de retrouver quelque chose! »
Le brigadier Lebranchu et les gendarmes Descoins et Gaillard n'en revenaient pas de leur découverte : au vu des traces de pneus, ces restes étaient bien sortis du tunnel, pourtant barré de clôtures et de panneaux d'interdiction et de danger d'éboulement. Et la veille, lors de la précédente patrouille de ses collègues, c'était RAS dans ce secteur. Clermont-Ferrand leur avait signalé qu'un adolescent fugueur, répondant au nom de Jimmy Prunier, était recherché activement par ses parents, qui avaient sollicité l'aide de la gendarmerie nationale.
L'épave de moto découverte à douze mètres en aval du tunnel paraissait là depuis au moins un quart de siècle tellement elle était corrodée, informe, et, de son conducteur, il ne demeurait qu'un squelette! En procédant à la fouille des effets du mort, qui tombaient en lambeaux pourris, le gendarme Descoins exhiba une carte d'identité délavée, qui se déchirait en petits morceaux rien qu'en la prenant. La photo en était piquetée, le visage de la personne devenu indiscernable sous l'effet du temps, comme dans cette vieille pub métaphorique sur l'alcool qui vous ronge, où de l'eau coulait goutte à goutte sur le portrait tiré d'un type jusqu'à l'effacer. Le militaire eut juste le temps de déchiffrer le nom, à demi illisible, avant que le papier d'identité n'achève de s'effilocher :
« Prunier, Jimmy Prunier : c'est le jeune gars qu'on cherche! Y paraît clamsé depuis in aeternam. Ces os sont vieux comme Mathusalem! » s'exclama t-il.
Gaillard l'interrompit :
« Faut que le brigadier voie ça! J'crois qu'y a d'autres débris suspects à trois mètres de l'épave et du squelette!
- Allons constater! Répliqua Lebranchu
- Oui, brigadier! »
Un spectacle encore plus incongru s'offrit à la vue du trio.
« Mazette! Un autre macchabée! S'écria Lebranchu
- C'est un fœtus! Y a eu un avortement clandestin! Et y a plein de trucs bizarres autour! Compléta Descoins.
- Mince! Et là, j'ai pas la berlue : un veau crevé!
- Écoutez : nous allons prélever soigneusement tous ces débris et les porter à un labo! On va faire les croquis d'usage et le médecin légiste se chargera du squelette!
- A vos ordres, brigadier! » Répondirent en chœur les deux autres gendarmes.
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Extraits du rapport d'expertise établi le 30 juin 1980 suite à la découverte effectuée par la brigade de gendarmerie de Riom lors de la patrouille du 13 mai courant sur RD désaffectée secteur 4 « Martres d'Artière » direction Riom tunnel n° 5.
(…) Épave de moto Yamaha 500 cc modèle 1979 immatriculée 1121 « XX » 63 sur restes découverts de la plaque, paraissant en état d'abandon et de dégradation suffisants pour corrosion complète et détérioration des pneumatiques. Age analysé supposé de l'épave : quarante ans. Impossibilité au vu de date de sortie du modèle.
Squelette de sexe masculin analysé : homme d'environ quatre-vingt-quinze ans (état des os : ostéoporose généralisée ainsi qu' arthrose prononcée aux articulations. Aucun traumatisme osseux susceptible d'avoir entraîné la mort n'a été décelé : cause naturelle. La dentition apparaît très dégradée perdue à 75% : ne demeurent que les molaires, aux couronnes fortement abrasées). Papiers d'identité semblent démentir l'âge du mort : volés? Stature de l'intéressé défalquée du processus de vieillissement et de tassement correspond à celle de la carte notée par gendarme X avant détérioration irréversible du document : un mètre quatre-vingt-deux centimètres. Age du jeune homme : 18 ans. Reste de plombage prélevé sur première molaire demi-maxillaire inférieur gauche. Avons mandé dentiste de l'intéressé, docteur M., de Clermont-Ferrand. Mort identifié par plombage dentaire posé le 16 septembre 1978 : monsieur Jimmy Prunier, né à Issoire le 23 février 1962 (…)
(…) Fœtus humain de sexe masculin avec cadavre de veau nouveau-né à proximité. Age évalué du fœtus : 3 mois de gestation. Veau de sexe féminin de race élevée pour la peausserie, la production des cuirs : vêtements (blouson, par exemple), sellerie, chaussures et bottes.
Débris divers :
- nature végétale : fleurs de coton séchées, graines et plants desséchés de plante tinctoriale : indigotier.
- nature chimique : avons détecté traces entrant dans composition des fibres synthétiques servant à fabrication de sous-vêtements, maillot de corps, slip et chaussettes (nylon)et des carburants et huiles de synthèse pour moteurs à explosion et liquide de freins.
- nature animale : peau de mouton fraîchement écorchée pour production de la laine, pour vêtements : pull-over. Quatre cocons de vers à soie prélevés : entrant dans fabrication des foulards (expert soierie usine Saint-Aubain de Lyon contacté).
Restes très malodorants d'invertébrés marins (mollusques à coquille) : impossibilité d'en déterminer l'espèce à partir des formes actuelles connues : paraît actuellement éteinte. Expert paléontologue mandé des États-Unis pour l'analyse : professeur S.J. Gould, de l'université d'Harvard.
http://www.notablebiographies.com/images/uewb_05_img0311.jpg
Conclusion : mollusques du genre X espèce Y de l'éocène : -49 millions d'années, période tertiaire ou néozoïque. Espèce disparue il y a 39 millions d'années. Animal à l'origine des gisements de pétrole d'Arabie Saoudite. Entre aussi dans la fabrication des matières plastiques et du caoutchouc (pneumatiques, gaines de poignées de motocyclettes, de selle de moto).
- nature minérale et métallique : minerai de fer brut, morceaux de cuivre natif, bauxite, nickel et étain + traces de molybdène.
Conclusions : éléments retrouvés autres que le fœtus humain ressemblent à ce qu'il est convenu de qualifier de kit, de meccano ou de lego entrant dans la fabrication de vêtements et d'un véhicule à moteur ainsi que du carburant pour le faire fonctionner.
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Les amateurs d'ésotérisme de tout poil s'emparèrent de l'affaire Jimmy Prunier, qui fit couler beaucoup d'encre et n'est à ce jour (trente ans après) pas résolue.
Lolo Cabane, le célèbre couturier créateur en 1967 de la fameuse micro-robe en plaques de carton recyclé a prétendu que le jeune homme avait été victime d'une rencontre du troisième type et, qu'ayant résisté à son kidnapping extraterrestre, ces derniers s'étaient vengés en l'enfermant dans le tunnel désaffecté qu'ils avaient converti en accélérateur de particules, en boucle du néant à l'image de l' ouroboros ou serpent se mordant la queue et des fameux labyrinthes annulaires médiévaux, très prisés dans les rites initiatiques des chevaliers de la Buena Muerte de sinistre mémoire, qui avaient frayé avec le diable.
Dans un livre intitulé « Jimmy Prunier et le secret de l'univers», le célèbre gourou Samuel, qui se dit avoir aussi été contacté par les extraterrestres, affirme que le jeune homme leur a servi de cobaye dans une expérience sur la quatrième dimension et le voyage spatio-temporel, mais que cette expérience a mal tourné. Il soutient que Jimmy Prunier s'est retrouvé dédoublé en jumeaux temporellement divergents, l'un courant vers le futur et la mort, l'autre vers le passé et la vie intra-utérine. La Yamaha de l'adolescent aurait connu le même sort ainsi que les vêtements dont il était vêtu : vieillissement pour les uns, retour en arrière pour les autres jusqu'à la matière première brute. Il affirme que le fœtus humain retrouvé était l'alter-ego du squelette et qu'il s'agissait de Prunier dans les deux cas. Les progrès de la génétique permettent d'envisager que madame Stéphanie Rouleau, sœur du disparu, fasse rouvrir l'enquête en faisant effectuer des tests ADN sur le squelette du vieux motard inhumé sous l'identité du jeune homme ainsi que sur le fœtus et les débris et indices divers, toujours détenus par les services de la police judiciaire et mis sous scellés depuis trente ans.
Christian Jannone.
Notes :
1 : Voir à ce sujet les récits « Ma chère petite sœur », « Cybercolonial », « Etude en vert et jaune », « DS De B de B : a forbidden autobiography » etc. Pour Hans Gemüse voir : « La gloire de Rama » et « Le tombeau d’Adam ».
2 : Le narrateur semble ignorer le nom de cette divinité : Sucellos.
3 : Voir « Pages arrachées au pergamen de Sodome » et « Cybercolonial ».


[1] Voir à ce sujet les récits « Ma chère petite sœur », « Cybercolonial », « Étude en vert et jaune » « DS De B de B : a forbidden autobiography » etc. Pour Hans Gemüse voir : « La gloire de Rama » et « Le tombeau d'Adam. »
[2] Le narrateur semble ignorer le nom de cette divinité : Sucellos.
[3] Voir « Pages arrachées au pergamen de Sodome » et « Cybercolonial ».

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