Aux Tuileries,
le Maudit avait minutieusement effectué ses recherches parmi les archives volées à Danikine. Cela lui avait pris deux bonnes journées et il avait intimé l’ordre à la domesticité de ne point le déranger. Dehors, la chasse à l’homme était ouverte et les mouches traquaient suspects et complices de l’attentat manqué. La presse d’opposition étant muselée, seuls les journaux aux ordres paraissaient, relatant les résultats rapides de l’enquête et les célébrant avec bruit. La nouvelle police d’Etat croulait sous les louanges et sous les dithyrambes de la nouvelle propagande napoléonide. L’homme qui avait vendu la charrette destinée à recevoir la bombe venait d’être appréhendé. Il s’agissait d’un de ces Bretons de Paris, qui, sous des allures débonnaires, se refusait à demeurer sujet du nouveau roi. L’arrestation des instigateurs de l’attentat serait l’affaire de peu de jours.
le Maudit avait minutieusement effectué ses recherches parmi les archives volées à Danikine. Cela lui avait pris deux bonnes journées et il avait intimé l’ordre à la domesticité de ne point le déranger. Dehors, la chasse à l’homme était ouverte et les mouches traquaient suspects et complices de l’attentat manqué. La presse d’opposition étant muselée, seuls les journaux aux ordres paraissaient, relatant les résultats rapides de l’enquête et les célébrant avec bruit. La nouvelle police d’Etat croulait sous les louanges et sous les dithyrambes de la nouvelle propagande napoléonide. L’homme qui avait vendu la charrette destinée à recevoir la bombe venait d’être appréhendé. Il s’agissait d’un de ces Bretons de Paris, qui, sous des allures débonnaires, se refusait à demeurer sujet du nouveau roi. L’arrestation des instigateurs de l’attentat serait l’affaire de peu de jours.
Dans les écrits de Danikine dénichés par
Galeazzo figurait la relation de sa fuite devant la police secrète du tsar
Nicolas 1er.
Passant de la Sibérie à l’Asie centrale, le fugitif était parvenu au Népal à la fin des années 1840.
Passant de la Sibérie à l’Asie centrale, le fugitif était parvenu au Népal à la fin des années 1840.
Danikine était fiché comme un opposant
notoire depuis que, étudiant en sciences, il s’était acoquiné avec les
décembristes
au début du règne de Nicolas 1er. Galeazzo avait glané des informations capitales sur le périple de notre proscrit, notamment son initiation aux rites chamaniques Toungouze
et sa découverte d’un accès supposé à l’antre du Roi du Monde, c’était-à-dire l’Agartha, où cependant, manquant de hardiesse, il s’était bien gardé de s’aventurer. Le Maudit croyait peu à ces balivernes. Cependant, le récit des pérégrinations népalaises de Pavel Danikine avait retenu toute son attention. Le Népal avait été l’avant-dernière étape des tribulations du fugitif, avant qu’il ne se réfugiât plusieurs années au Tibet où il allait parfaire son initiation.
au début du règne de Nicolas 1er. Galeazzo avait glané des informations capitales sur le périple de notre proscrit, notamment son initiation aux rites chamaniques Toungouze
et sa découverte d’un accès supposé à l’antre du Roi du Monde, c’était-à-dire l’Agartha, où cependant, manquant de hardiesse, il s’était bien gardé de s’aventurer. Le Maudit croyait peu à ces balivernes. Cependant, le récit des pérégrinations népalaises de Pavel Danikine avait retenu toute son attention. Le Népal avait été l’avant-dernière étape des tribulations du fugitif, avant qu’il ne se réfugiât plusieurs années au Tibet où il allait parfaire son initiation.
Ce que le comte di Fabbrini apprit dans
les feuillets suivants le stupéfia. Il s’agissait d’un récit de seconde main,
en cela que Pavel Danikine avait pris en note tout ce qu’un moine initiateur
lui avait rapporté des légendes courant dans la région, et l’une d’elles était
indéfectiblement liée au souvenir d’un Empereur tibétain maléfique du IXe
siècle, Langdarma.
Orthographié avec un h, Dharma ne signifiait-il pas coutume, loi naturelle ou religion ?
Orthographié avec un h, Dharma ne signifiait-il pas coutume, loi naturelle ou religion ?
Les
contreforts himalayens fourmillaient de nécropoles creusées à flancs de
montagnes. Parmi ces tombeaux mystérieux figurait, si l’on en croyait la
relation de Danikine, celui d’un personnage à la réputation sinistre,
l’Empereur du Tibet Langdarma, qui avait régné de 838 à 842. La dépouille
momifiée selon les rites de la secte bouddhique dissidente de Tsampang Randong,
disciple de Kukaï,
reposait dans une de ces grottes népalaises
creusées de main d’homme, à défaut de constituer une anfractuosité naturelle, sans plus de précision pour la localiser.
Or, les chroniques régionales avaient toujours affirmé que le cadavre de Langdarma avait été démantibulé d’après la tradition funéraire propre au Tibet, désagrégé, et ce qu’il en restait livré aux vautours. Là commençait une histoire proprement fantastique, plutôt un mythe, mais négatif. D’aucuns prétendaient que la mystérieuse momie reposait dans une de ces grottes situées au sein d’un étrange et interdit royaume tibéto-népalais du Mustang, autrement dit l’ancien royaume de Lo.
L’accès de cette grotte tabou était protégé par des gardiens
particuliers, mi-hommes, mi-singes. Par quel ouï-dire Danikine avait-il porté crédit à ces affabulations qui bousculaient l’histoire admise ? Quel lama mystérieux lui avait-il conté cela ? Un Empereur momifié ; des êtres simiesques défendant l’accès de sa tombe interdite ? Pour quelle raison ce Langdarma représentait-il un péril ? Quel conte à dormir debout !
reposait dans une de ces grottes népalaises
creusées de main d’homme, à défaut de constituer une anfractuosité naturelle, sans plus de précision pour la localiser.
Or, les chroniques régionales avaient toujours affirmé que le cadavre de Langdarma avait été démantibulé d’après la tradition funéraire propre au Tibet, désagrégé, et ce qu’il en restait livré aux vautours. Là commençait une histoire proprement fantastique, plutôt un mythe, mais négatif. D’aucuns prétendaient que la mystérieuse momie reposait dans une de ces grottes situées au sein d’un étrange et interdit royaume tibéto-népalais du Mustang, autrement dit l’ancien royaume de Lo.
L’accès de cette grotte tabou était protégé par des gardiens
particuliers, mi-hommes, mi-singes. Par quel ouï-dire Danikine avait-il porté crédit à ces affabulations qui bousculaient l’histoire admise ? Quel lama mystérieux lui avait-il conté cela ? Un Empereur momifié ; des êtres simiesques défendant l’accès de sa tombe interdite ? Pour quelle raison ce Langdarma représentait-il un péril ? Quel conte à dormir debout !
Le Maudit réfléchit ; il se souvint. Galeazzo
se rappelait qu’en 1867, pour enrichir sa ménagerie ou collection de monstres
humains et animaux, il avait acquis une créature déshéritée baptisée K’Tou,
qu’un aventurier venu du Mustang lui avait vendue en tant qu’homme-singe d’une tribu oubliée de l’Altaï. Certes, Galeazzo ignorait que les K’Tous fussent d’authentiques néandertaliens bien qu’il se fût informé de la découverte de 1856
et eût considéré le crâne de Neander comme celui d’un cosaque. Non au fait des développements futurs de la science anthropologique et préhistorique, il n’appréhendait pas l’existence d’hominidés reliques et encore moins de métis ou d’hybrides. Pour le savoir, il lui aurait fallu vivre au XXIe siècle. Cependant, le royaume de Lo abritait des peuplades traditionnelles locales résultant d’hybridations entre Homo sapiens et Hommes de Denisova ou Denisoviens, équivalant aux K’Tous d’Asie
. Pavel Danikine mentionnait dans ses écrits leur existence, sans toutefois les avoir rencontrés et sans accréditer ce qu’il considérait comme une fable. Le comte di Fabbrini avait certes constaté que la créature, qu’il jugeait avant tout comme un idiot congénital - certes macrocéphale tels ces malades au crâne gonflé par l’eau des méninges - arborait des caractères proches de l’Homme de Neander, bourrelet sus-orbitaire et chignon occipital entre autres traits, mais l’avait jugé comme le représentant d’une « race » inférieure dégénérée. De plus, le K’Tou était mort, occis dans un combat contre un extraterrestre Haän, Opalaand, lorsque di Fabbrini avait affronté Frédéric Tellier au moment où il tentait de réussir là où Danikine avait échoué : la création du surhomme Homunculus danikinensis[1].
qu’un aventurier venu du Mustang lui avait vendue en tant qu’homme-singe d’une tribu oubliée de l’Altaï. Certes, Galeazzo ignorait que les K’Tous fussent d’authentiques néandertaliens bien qu’il se fût informé de la découverte de 1856
et eût considéré le crâne de Neander comme celui d’un cosaque. Non au fait des développements futurs de la science anthropologique et préhistorique, il n’appréhendait pas l’existence d’hominidés reliques et encore moins de métis ou d’hybrides. Pour le savoir, il lui aurait fallu vivre au XXIe siècle. Cependant, le royaume de Lo abritait des peuplades traditionnelles locales résultant d’hybridations entre Homo sapiens et Hommes de Denisova ou Denisoviens, équivalant aux K’Tous d’Asie
. Pavel Danikine mentionnait dans ses écrits leur existence, sans toutefois les avoir rencontrés et sans accréditer ce qu’il considérait comme une fable. Le comte di Fabbrini avait certes constaté que la créature, qu’il jugeait avant tout comme un idiot congénital - certes macrocéphale tels ces malades au crâne gonflé par l’eau des méninges - arborait des caractères proches de l’Homme de Neander, bourrelet sus-orbitaire et chignon occipital entre autres traits, mais l’avait jugé comme le représentant d’une « race » inférieure dégénérée. De plus, le K’Tou était mort, occis dans un combat contre un extraterrestre Haän, Opalaand, lorsque di Fabbrini avait affronté Frédéric Tellier au moment où il tentait de réussir là où Danikine avait échoué : la création du surhomme Homunculus danikinensis[1].
Le Maudit avait conservé une relique
obstétricale des expériences avortées du Russe : un fœtus au crâne
hypertrophié,
qui reposait de son dernier (ou premier ?) sommeil dans un hideux bocal empli d’un alcool préservateur de la putréfaction. Il lui arrivait de temps à autre de méditer, de réfléchir sur sa destinée en contemplant ce déchet cauchemardesque, témoin ultime de l’ancienne piste temporelle.
qui reposait de son dernier (ou premier ?) sommeil dans un hideux bocal empli d’un alcool préservateur de la putréfaction. Il lui arrivait de temps à autre de méditer, de réfléchir sur sa destinée en contemplant ce déchet cauchemardesque, témoin ultime de l’ancienne piste temporelle.
Galeazzo ne comprenait pas comment
Langdarma était devenu un réprouvé, un tyran maléfique. Rien à l’origine ne le
prédisposait au despotisme sanguinaire qui avait caractérisé son règne. Mais il
en était ainsi en Histoire des Sylla,
César, Caligula et Néron, et il en serait sans-doute ainsi de Napoléon le Grand dont la tyrannie débutait à peine. Galeazzo était conscient de jouer le rôle d’instrument du nouveau dictateur qui lui devait le trône. Il en attendait une juste récompense, la puissance et la revanche sur ses anciens ennemis, Frédéric et Alban de Kermor, sachant que le combat qui s’engageait en 1800 l’était contre le père, contre Maël géniteur des deux demi-frères… au risque que le comte s’effaçât, ne naquît point. La suite du récit rapporté par Danikine finit par le subjuguer et le convaincre de la véracité de ce que le savant dévoyé rapportait.
César, Caligula et Néron, et il en serait sans-doute ainsi de Napoléon le Grand dont la tyrannie débutait à peine. Galeazzo était conscient de jouer le rôle d’instrument du nouveau dictateur qui lui devait le trône. Il en attendait une juste récompense, la puissance et la revanche sur ses anciens ennemis, Frédéric et Alban de Kermor, sachant que le combat qui s’engageait en 1800 l’était contre le père, contre Maël géniteur des deux demi-frères… au risque que le comte s’effaçât, ne naquît point. La suite du récit rapporté par Danikine finit par le subjuguer et le convaincre de la véracité de ce que le savant dévoyé rapportait.
Au commencement, avant qu’il ne régnât,
Langdarma feignait le respect de la foi bouddhique. Il apparaissait comme un
digne disciple de l’école Shingon,
fondée par Kukaï, mort trois ans avant son usurpation. Kukaï avait laissé au Tibet son meilleur lieutenant, Tsampang Randong, qui, devenu conseiller aulique et protégé du frère et prédécesseur de Langdarma, l’Empereur Tri Ralpachen,
avait imposé la discipline ascétique Shingon à tous les bonzes de l’Empire.
fondée par Kukaï, mort trois ans avant son usurpation. Kukaï avait laissé au Tibet son meilleur lieutenant, Tsampang Randong, qui, devenu conseiller aulique et protégé du frère et prédécesseur de Langdarma, l’Empereur Tri Ralpachen,
avait imposé la discipline ascétique Shingon à tous les bonzes de l’Empire.
De fait, Langdarma avait pris peur de la
tournure que prenait la « révolution » religieuse du pays. Il
réprouvait les excès du rigorisme que Tsampang Randong, sur-interprétant la
doctrine de son maître Kukaï, tentait d’imposer à tout un peuple qui conservait
une structure sociale tribale et des croyances chamaniques et animistes
en-dessous de l’enveloppe bouddhiste superficielle. Tsampang Randong avait pris
l’ascendant sur l’Empereur Tri Ralpachen. La discipline scrupuleuse, les
mortifications, l’ascèse et le jeûne forcés des moines conduisaient à une forme
de mort, d’auto-desséchement et d’auto-momification
avant même que le trépas eût fait son œuvre. De fait, la déformation de la doctrine de Kukaï menait à une dissidence fondamentaliste dangereuse, à une hérésie, d’autant plus que la participation du peuple à ces pratiques ne cessait d’augmenter : les femmes elles-mêmes y adhéraient, devenaient bonzesses au détriment de la maternité. Notre épigone de Kukaï réprouvait tout ce qui touchait au sexe, à la reproduction. Seule comptait la vie spirituelle délivrée de toutes les contingences du corps. Le Tibet risquait de compter davantage de moines que de cultivateurs, d’éleveurs, d’artisans ou de guerriers ; la natalité menaçait de s’effondrer. C’était à terme l’extinction démographique du Tibet, la disparition de l’Empire, affaibli par le pullulement des zélotes sans qu’il y eût d’enfants. Tsampang Randong faisait office de Marcion,
de gnostique asiatique, qui, s’ils eussent triomphé, auraient stérilisé le christianisme et conduit l’humanité à une disparition prématurée.
avant même que le trépas eût fait son œuvre. De fait, la déformation de la doctrine de Kukaï menait à une dissidence fondamentaliste dangereuse, à une hérésie, d’autant plus que la participation du peuple à ces pratiques ne cessait d’augmenter : les femmes elles-mêmes y adhéraient, devenaient bonzesses au détriment de la maternité. Notre épigone de Kukaï réprouvait tout ce qui touchait au sexe, à la reproduction. Seule comptait la vie spirituelle délivrée de toutes les contingences du corps. Le Tibet risquait de compter davantage de moines que de cultivateurs, d’éleveurs, d’artisans ou de guerriers ; la natalité menaçait de s’effondrer. C’était à terme l’extinction démographique du Tibet, la disparition de l’Empire, affaibli par le pullulement des zélotes sans qu’il y eût d’enfants. Tsampang Randong faisait office de Marcion,
de gnostique asiatique, qui, s’ils eussent triomphé, auraient stérilisé le christianisme et conduit l’humanité à une disparition prématurée.
Comme Néron avec Britannicus
ou Caracalla avec Geta, Langdarma, pour enrayer la machine infernale, n’eut d’autre choix que d’assassiner son frère et d’usurper le trône. C’était en l’an 838. La grande persécution, la Terreur débuta. Langdarma œuvra à la restauration forcenée de l’ancienne religion traditionnelle Bön, des déités déchues. Il considérait le bouddhisme comme l’émanation de chiens étrangers, chinois Han et népalais. Le Bön était né en pleine préhistoire, au paléolithique, il y avait 18 000 années. Cette religion constituait l’une des dernières survivances des âges lithiques obscurs, bien qu’elle eût au fil des millénaires absorbé diverses influences dont la pratique du monachisme, préexistante à l’importation du bouddhisme.
ou Caracalla avec Geta, Langdarma, pour enrayer la machine infernale, n’eut d’autre choix que d’assassiner son frère et d’usurper le trône. C’était en l’an 838. La grande persécution, la Terreur débuta. Langdarma œuvra à la restauration forcenée de l’ancienne religion traditionnelle Bön, des déités déchues. Il considérait le bouddhisme comme l’émanation de chiens étrangers, chinois Han et népalais. Le Bön était né en pleine préhistoire, au paléolithique, il y avait 18 000 années. Cette religion constituait l’une des dernières survivances des âges lithiques obscurs, bien qu’elle eût au fil des millénaires absorbé diverses influences dont la pratique du monachisme, préexistante à l’importation du bouddhisme.
Tsampang Randong fut chassé du Tibet et
les bonzes persécutés, leurs monastères pillés et détruits par le feu, les
statues du Sakyamuni mises à bas et brisées. Ce fut le règne de l’eschatologie.
Entrés en clandestinité, les bonzes rescapés se mirent à prophétiser la fin des
Temps. Comme partout, il y eut des traîtres qui abjurèrent leur foi, feignant
une conversion insincère et de surface. Cette persécution se prolongea quatre
années, années d’enfer et d’atrocités, bains de sang, de fiel et de perversion,
légende noire et proscriptions jusqu’à ce qu’un moine valeureux nommé Lhalung
Pelgyi Dorje
prît l’initiative de débarrasser l’Empire du tyran. Un arc dissimulé sous sa robe monacale lui permit de frapper Langdarma d’un trait fléché salvateur, alors que ce dernier assistait à un spectacle de danses. Le monstre disparu, l’ère de la grande fragmentation de l’Empire s’en suivit…
prît l’initiative de débarrasser l’Empire du tyran. Un arc dissimulé sous sa robe monacale lui permit de frapper Langdarma d’un trait fléché salvateur, alors que ce dernier assistait à un spectacle de danses. Le monstre disparu, l’ère de la grande fragmentation de l’Empire s’en suivit…
Les croyances animistes chamaniques
subsistantes impliquaient que les Bouddhistes craignissent la réincarnation de
l’esprit malsain de l’Empereur ou son retour sous la forme d’un démon
incontrôlable. Afin d’exorciser cela, le cadavre ne fut ni démembré ni offert
aux vautours, ni incinéré, ni livré à la putréfaction, processus qui chacun
impliquait la quête d’une nouvelle enveloppe humaine par Langdarma après
l’anéantissement rapide ou graduel de l’ancienne. Le momifier et reléguer par
la suite la dépouille interdite en un lieu inaccessible et innommé, doté de
gardiens implacables, préviendrait la métempsycose du despote dont l’esprit
errerait dans le Bardo pour l’éternité. Des talismans protégeraient le sépulcre
et le corps lui-même de toute intrusion indésirable et de l’emprise supposée
des démons et déesses chthoniens de l’Himalaya. Les bonzes avaient agi avec
logique. De fait, Lhalung Pelgyi Dorje s’était arrangé pour que la flèche ne
fût pas mortelle. Langdarma, seulement blessé et inconscient, fut condamné à
être desséché vivant, placé en une sorte de stase, de demi-vie ou semi-mort au
cours d’une cérémonie lancinante où les bonzes entonnèrent des milliers de fois
et des jours durant leurs mantras et mélopées tandis que l’Empereur, comateux
et emmailloté, se trouvait suspendu au-dessus de braseros, de foyers multiples
intenses soigneusement entretenus afin que sa chair se purifiât de tous ses
fluides… Saints hommes et saintes femmes au crâne parfaitement lisse
murmuraient leurs chants de gorge presque en infra-sons tant ils sonnaient dans
le grave. Ils ponctuaient çà et là leur récitation de scansions percutantes en
frappant des tambours tendus de peaux de buffles de coups longs et vibrants
assenés par ce qu’ils prenaient pour des fémurs de yétis. L’interminable
cérémonie tournait parfois au cauchemar quand, épuisés par le jeûne, quoiqu’ils
se sustentassent frugalement de lait fermenté et de baies, certains perdaient
conscience, s’affaissaient, parfois morts. La survivance du paganisme
impliquait que le rituel fût enrichi de quelques holocaustes, d’offrandes de
viandes de yacks
afin que s’apaisât la colère des déesses du Toit du Monde, yacks au pelage ornementé de rubans et de clochettes de bronze tintinnabulantes que l’on égorgeait et saignait sur place et dont les mugissements d’agonie emplissaient la grand’salle du palais impérial où le cérémonial conjuratoire se déroulait. Il fallut tantôt six mois pour qu’à la parfin Langdarma acquît un aspect de dessiccation millénaire et devînt aussi parcheminé qu’un trépassé de longue date. Sa face creusée et squelettique, aux yeux rétractés dans les orbites, fut recouverte par un masque bimétallique d’or et d’argent d’une épaisseur infime, masque enduit d’un baume à la composition secrète et aux propriétés magiques car exorciseur et répulsif, propre à chasser les démons, les mauvais tulpas. De fait, durant le supplice de l’Empereur, sans hélas que les moines en prière les vissent, des forces volatiles négatives avaient plané autour de lui. Ces fumerolles luminescentes subtiles et subliminales phosphoraient. Opportunistes, elles s’introduisirent dans son corps avec discrétion, sans crier gare, par son nez, sa bouche et ses oreilles, que l’emmaillotage ne recouvrait pas. Grave erreur ! Il eût fallu un linceul étanche enveloppant l’homme en sa totalité.
afin que s’apaisât la colère des déesses du Toit du Monde, yacks au pelage ornementé de rubans et de clochettes de bronze tintinnabulantes que l’on égorgeait et saignait sur place et dont les mugissements d’agonie emplissaient la grand’salle du palais impérial où le cérémonial conjuratoire se déroulait. Il fallut tantôt six mois pour qu’à la parfin Langdarma acquît un aspect de dessiccation millénaire et devînt aussi parcheminé qu’un trépassé de longue date. Sa face creusée et squelettique, aux yeux rétractés dans les orbites, fut recouverte par un masque bimétallique d’or et d’argent d’une épaisseur infime, masque enduit d’un baume à la composition secrète et aux propriétés magiques car exorciseur et répulsif, propre à chasser les démons, les mauvais tulpas. De fait, durant le supplice de l’Empereur, sans hélas que les moines en prière les vissent, des forces volatiles négatives avaient plané autour de lui. Ces fumerolles luminescentes subtiles et subliminales phosphoraient. Opportunistes, elles s’introduisirent dans son corps avec discrétion, sans crier gare, par son nez, sa bouche et ses oreilles, que l’emmaillotage ne recouvrait pas. Grave erreur ! Il eût fallu un linceul étanche enveloppant l’homme en sa totalité.
Ces vapeurs éthérées étaient des démons
chthoniens de l’Himalaya et du Bardo, qui erraient parmi les limbes bouddhiques
du Petit Véhicule et de l’école Shingon, afin de dévorer et posséder les âmes
erratiques des mauvaises personnes qui ne parvenaient pas à se réincarner.
Intrusives, par
leur puissance fluidique, elles métamorphosaient ceux qu’elles habitaient en
vampires qui avaient besoin de l’énergie du karma ou action rituelle pour
survivre et se nourrir. Ce vampirisme ne reposait pas que sur le sang, mais
aussi sur l’énergie galvanique des organismes, autrement dit l’électricité du
cerveau et du système nerveux. C’était la raison pour laquelle Langdarma,
plongé dans une catalepsie éternelle, au fond de son sépulcre occulte des
profondeurs du roc, ne devait surtout pas être réveillé car alors, son pouvoir démoniaque
s’activerait et il ravagerait le monde… La créature de Victor Frankenstein,
l’Homunculus, le Vampyre de Polidori
et le shaitan assemblés en un seul être… Réveiller Langdarma, l’extirper de sa catalepsie eût été ranimer les tulpas démoniaques qui s’étaient insinués en lui pendant qu’il se desséchait.
et le shaitan assemblés en un seul être… Réveiller Langdarma, l’extirper de sa catalepsie eût été ranimer les tulpas démoniaques qui s’étaient insinués en lui pendant qu’il se desséchait.
Fasciné et enfin conquis par cette
relation fantastique, le Maudit s’accorda une pause. Sa pensée vagabonda. Ce
récit de Danikine étayait ses visions et celles de Napoléon : l’au-delà
communiquait avec eux, leur adressait des messages. Peut-être l’objectif était-il
de leur permettre de découvrir un moyen de vaincre les opposants loyalistes en
recourant à ce que les théosophes appelaient la surnature des êtres et des
choses ?
Il se souvint du Baphomet, de Kant, de Van
Kempelen, d’El Turco… Il s’exerça à découvrir un lien entre le Tibet et
l’automate fabuleux. Des bribes de connaissances enfouies ésotériques
assaillirent sa psyché.
« Les Templiers…
L’ordre militaire de la Buena Muerte fondé par le Cid. La prétendue tête automate du Baphomet adorée par ces hérésiarques… Pavel Danikine supposait en ses traités déments que la conception de la machine n’était pas occidentale, bien qu’il connût la légende l’attribuant au pape Sylvestre II. »
L’ordre militaire de la Buena Muerte fondé par le Cid. La prétendue tête automate du Baphomet adorée par ces hérésiarques… Pavel Danikine supposait en ses traités déments que la conception de la machine n’était pas occidentale, bien qu’il connût la légende l’attribuant au pape Sylvestre II. »
Un autre texte du Russe fou qu’il avait
promptement parcouru évoquait un autre bonze, Jamiang Tsampa, véritable
concepteur de l’idole.
« Il me faut à la fois mettre la main
sur ce prétendu joueur d’échecs de van Kempelen mais aussi retrouver la momie
cachée de Langdarma. » songea-t-il enfin.
Lors, son rire, terrible, éclata.
A suivre...
[1] Cf. Le Tombeau d’Adam
partie 2 : Le Retour de l’Artiste, par Christian et Jocelyne Jannone,
éditions Œil Critik 2018.
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