samedi 26 janvier 2019

La Conjuration de Madame Royale : chapitre premier 6e partie.


La nouvelle technique de la mise à feu des machines infernales par le chronomètre de précision s’était avérée insuffisamment maîtrisée par les comploteurs légitimistes. De fait, la bombe explosa trop tôt, alors que seulement l’avant-garde du convoi officiel venait de s’engager en la rue Saint-Nicaise. Elle faucha ainsi des cibles innocentes, sans que la voiture du nouveau monarque fût touchée. L’explosif était lui-même constitué d’une substance non encore découverte dans l’ancien cours de l’Histoire : il s’agissait de nitrocellulose ou fulmicoton, quatre fois plus puissant que la poudre ordinaire, ce même fulmicoton que Jules Verne mentionnerait dans son roman De la Terre à la Lune
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Les mutilations des corps exposés à la déflagration, de même la pulvérisation des matières organiques et inorganiques furent lors considérables, spectaculaires, épouvantables…

Le souffle projeta Aude et notre muscadin à plusieurs toises tandis qu’une pluie de débris plus ou moins innommables aspergeait les entours. En tête du cortège royal se pavanaient des cuirassiers en grande tenue, sabre au clair, mais le soleil d’hiver ne permettait pas que le métal de leur busc, de leur caparaçon et plastron bien astiqué étincelât en suffisance. L’éclatement de la machinerie d’enfer
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 les prit par surprise sans qu’ils réalisassent ce qui se passait, sans qu’ils se vissent mourir. L’on vit ce spectacle hallucinant de cavaliers déchiquetés avec leur monture, s’envolant en un bond, démembrés, hommes troncs casqués, empanachés, emplumés, aux soutaches, retroussis, dragonnes et fourragères effilochés en quelques entortillements de fibres cramoisies indéfinissables, pièces d’anatomie aux fressures disjointes, aux yeux écarquillés, têtes marquées par la stupeur de la mort brusque, encore surmontées de leurs bombes métalliques à crinières et à plumet tantôt d’ébène, tantôt d’écarlate. En des nuées d’éclats de bois, la rossinante de la charrette décapitée, aux jambes disloquées, s’en vint jusqu’en un toit tandis que Marianne Peusol, le visage arraché tel un masque de sang, sans plus de figure humaine désormais qu’un écorché de Fragonard,

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fut ballottée comme fétu, un bras par ci, une jambe par-là, se détachant d’un cadavre qu’on eût cru découpé à la hache de Monsieur de Paris afin de parfaire un écartèlement à la Ravaillac ou à la Damiens,
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à moins que la déconstruction du corps de l’humble pauvresse résultât de la fureur populaire, et eût subi une ire d’émotion d’Ancien Régime, telle qu’en furent témoins chroniqueurs et épistoliers de 1572 ou 1617, lorsque la population parisienne échauffée par la haine limbique fit son affaire des cadavres de Coligny et Concini.
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 Ce traitement sauvage, ce dépeçage empreint d’un rituel cannibale, n’était pas spécial à la France : Alexandre Dumas devait rapporter en La Tulipe noire les supplices infâmants réservés aux dépouilles du Grand Pensionnaire des Provinces-Unies Jean de Witt et de son frère Cornélius au mois d’août 1672. 
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En ce qui nous concerne, la puissance du fulmicoton avait suffi à la mutilation et au déchiquetage de Marianne et de plus de cinquante autres victimes. Pas moins de vingt enfants appartenaient à cette loterie morbide…

La voiture royale s’était arrêtée au bruit, à la lueur, au tremblement de l’onde de la déflagration aussi considérable que l’impact d’un aérolithe tueur de reptiliens chers à Monsieur Cuvier. L’attelage alezan aux housses et plumets fleurdelisés ruait, hennissait, tandis que Galeazzo risquait une descente du véhicule immobilisé, assourdi, sonné, par ce qu’il comprit être un attentat. Napoléon, prostré, ne réagissait pas. Il s’imaginait que la foudre, projetée par quelque démon, avait frappé la voie.

La rue Saint-Nicaise ressemblait désormais au mélange de l’étal d’un boucher sans hygiène et de ruines d’un bombardement aérien du XXe
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siècle mâtiné d’un cratère qui marquait ce qui restait de l’emplacement de la charrette piégée. Ebranlé en ses fondements, l’hôtel de Créquy semblait osciller sur sa base, comme en quelque secousse sismique, ses murs maîtres parcourus de fissures. Tuiles, corniches, gouttières churent sur un pavé fangeux labouré de sang et de victimes méconnaissables. Les vêtements des blessés survivants étaient au mieux poussiéreux, terreux, au pis arrachés par le souffle. Ce dénudement, cette impudicité, ne pouvaient avoir d’effet comique en de telles circonstances. Ainsi, une femme d’un embonpoint certain, entièrement dévêtue, balbutiait en titubant, les lèvres tremblantes, le corps fruste, noirci et souillé, tenant entre ses mains ce qui apparaissait comme des fragments de cervelle parsemés d’esquilles. On ne parvenait plus à distinguer, parmi ces amas innombrables de chairs tourmentées et sanguinolentes, pantelantes, ce qui était humain de ce qui était animal. Plus rien n’avait de figure, ni de silhouette. Tout était frappé de dévitalisation, de privation d’identification.  

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Larrey et ses équipes auraient fort à faire, devraient besogner longtemps à la mutilation des meurtrissures de celles et ceux qu’ils essaieraient de sauver. La structure hospitalière encore archaïque, héritée des Bourbons, ne suffirait pas à la tâche de cette irruption du terrorisme moderne. On imaginait jà les Quinze-Vingts,
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 l’Hôtel-Dieu, Saint-Vincent de Paul, la Trinité, la Charité et d’autres encore, emplis de gémissements, de râles, de cris, de plaintes et de pleurs, en leurs murs vétustes suintants, héritiers parfois d’anciennes léproseries ou maladreries.

En quelques gazettes rapportées du continent, le prince-régent George d’Angleterre se délecterait en immoraliste de cette mésaventure sanglante survenue à celui qu’il prénommait Boney, tout en regrettant toutefois qu’il ne brûlât pas en enfer. Longtemps, il déplorerait l’échec des loyalistes français.



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 A suivre...

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