dimanche 12 mai 2013

Le Couquiou épisode 7.

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/8/8a/Jules_Breton,_le_chant_de_l%27alouette.1884.jpg/180px-Jules_Breton,_le_chant_de_l%27alouette.1884.jpg


Le samedi, la fratrie fit comme elle avait convenu. Brisquet avait accepté la laisse sans rechigner ; Paul le tenait. C’était pour le cabot l’occasion d’une jolie promenade sans qu’on le sollicitât pour emplir un carnier. Le regard intelligent et doux du chien avait exprimé reconnaissance et gratitude, queue battante, mais aussi une parfaite compréhension des nouveaux services qu’on attendait de lui : flairer la piste de quelque chose qu’on ne mangerait pas. C’est Lucille qui commandait la petite bande, puisque Dominique s’était plié à son caprice. Elle marchait en tête de l’excursion  investigatrice, mignonne à croquer avec ses bottes, ses culottes de cheval, son duffel-coat ouvert sur un pull pastel de l’encolure duquel émergeait un blanc chemisier de petite fille sage. Elle l’avait finalement préféré au ciré, trop marin, pas assez chaud pour la saison. Une brise fraîche agitait ses mèches ; nu-tête, ses couettes enrubannées de velours rouge chatouillaient ses joues juvéniles. Paul avait suggéré qu’on prenne les vélos. Lulu avait répondu :
« Il faut être sportif ; à pied, c’est encore meilleur pour la santé et l’endurance et on sera à égalité avec Brisquet qui n’a que ses pattes pour se déplacer. De plus, on marchera avec facilité ; les sentes ne sont point trop bourbeuses en ce moment. »
Paul avait maugréé mais s’était soumis à la commandante en chef.

 Tous trois avaient conscience de leur culot : se rendre ainsi, en empiétant, en interférant sur la tâche des gendarmes, en dérangeant le labeur du père Martin, jusqu’à cette vieille bicoque décatie et inconfortable, cette métairie Saint-Joseph aussi misérable d’allure que l’étable de la nativité, à six-sept kilomètres de chez nous ! On aurait peut-être soif de la marche ; on serait éreintés ; on s’immiscerait entre les quatre murs rustiques, interrogeant le vieux madré (« S’il était bien chez lui à c’t’heure, parce que ces vieux conservateurs crasses n’ont pas le téléphone pour qu’on les informe de notre venue », avait argumenté Popaul), lui demandant à boire de la grenadine, peut-être… s’il avait bien autre chose que de l’alcool, de la vieille vinasse de table pour le rafraîchissement. Dominique, point à court d’idées reçues, imaginait une bouteille de bordeaux empoussiérée, tirée d’un cellier secret, extirpée donc de la planque personnelle du vieil avare, destinée aux grandes occasions, posée sur le meuble nappé de tissu usé, à laquelle, aînesse et approche du droit de consommer ce type de boissons arrivant, il demanderait, au nom des règles de la courtoisie, à goûter, pensant que l’apport de bon vin dans les gosiers faciliterait la communication et dériderait le paysan qui dégoiserait des informations capitales non encore révélées à la maréchaussée (car cachées par méfiance ?). Combien de rasades seraient-elles nécessaires au recouvrement de la loquacité du père Martin ? C’était compter sans la gourmandise enfantine propre à Paul et Lucille. Ils n’avaient ni l’âge ni l’intention comme Dominique de lamper l’alcool. Un verre par-ci, par-là, ce n’étaient que vétilles. Notre garçon, dont quelques commères au bridge disaient qu’il ressemblait à un Mermoz ou un Alain Gerbault adolescent, pensait que ce n’était pas ça qui le rendrait ivrogne.
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/b/b1/Alain_Gerbault_1929.jpg/200px-Alain_Gerbault_1929.jpg

Ils connaissaient aussi la Martine, cette brave vieille, la savaient experte en confitures artisanales. De plus, il venait à leur souvenance que nous nous trouvions à la saison appropriée des coings, ces fruits savoureux du cognassier, pansus et jaunes, tout en bosselures callipyges et consommables cuits. Et la mère Martin possédait tous les secrets de fabrication de fameuses pâtes, gelées, et confitures de coings qu’elle offrait à cette période de l’année au voisinage, aux maîtres et landlords, autrement dit aux géniteurs de notre fratrie qui en profitait au dessert ou au petit déjeuner avant Toussaint, au-delà de la Saint-Martin si la récolte avait été bonne, jusqu’à l’Avent si l’on pouvait. Ce serait une broutille de lui quémander cette friandise. Elle l’offrirait spontanément car elle était la bonté même. Paul et Lucille s’en pourléchaient par avance. Brisquet aurait droit à sa part légitime ; Popaul lui faisait entrevoir cette perspective pour son appétit canin en le flattant, le caressant, le baisotant. Les Martin possédaient aussi un verger de poiriers, vergier médiéval,
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/68/Le_Songe_du_Vergier1.jpg
 obéissant aux principes de l’immémoriale fructification saisonnière fixée par les épigones de Pline l’Ancien, arboriculteurs et autres (parfois moines, parfois laïcs) ce qui donnait en octobre de grasses et juteuses louises-bonnes bien mûres, occasion rêvée de s’en mettre plein la bouche et d’humecter de mouillures sucrées joues et lèvres des juvéniles gastronomes. La Martine apporterait tout ça dans un compotier qu’elle porterait avec ses mains calleuses. Par conséquent, les enfants s’attendaient qu’à l’approche de la ferme, leurs narines alléchées humassent au moins l’efflorescence sucrine du coing cuit, production d’une alchimie subtile, en quelque alambic ou athanor ou magique chaudron non de sorcière, mais de bonne fée, tel un bouilleur de cru.
 Dominique avait dit tout simplement aux parents que la progéniture partait en balade, parce que le temps étant au beau fixe, chose pas toujours exceptionnelle en cette saison, il fallait bien s’aérer. C’était pourquoi Julie d’Arthémond n’avait émis aucune observation au sujet de la vêture garçon manqué de sa fille chérie. De toute façon, cela lui seyait à ravir. Les culottes de cheval n’étaient pas tout à fait des pantalons et les gamines pratiquant l’équitation le jeudi ou le dimanche les arboraient toutes, l’époque des amazones en jupes longues étant révolue depuis longtemps. C’était un sport snob, pratiqué au manège, ou au sous-bois, peuplés ces après-midi là de zozotants émules de Jonquère d’Oriola
http://www.lexpress.fr/pictures/291/149180_le-champion-francais-pierre-jonqueres-d-oriola-le-24-octobre-1968-lors-des-jeux-olympiques-de-mexico.jpg
 et, davantage chaque année, de mignardes cavalières de charme au nez spirituel tacheté d’éphélides, aux joues incarnadines, bombe bien enfoncée sur leur chevelure blonde, châtaigne ou brune, parfois coupée au carré, d’autres à la queue de cheval enrubannée de satin.

 Dominique, en cheminant par les sentes herbues, pensa au cadavre non-identifié, dévoré par les corvidés, source de toute l’affaire. Il fallait s’attendre, si le père Martin acceptait de répéter son témoignage, à l’étalage renouvelé de détails atroces. La mort…que signifiait la mort ? Quelle perception ces gamins en avaient-ils ? Quoi de plus abstrait que la mort, que ce concept, tant qu’on ne s’y retrouve pas confronté…directement…soi-même.
Le seul souvenir que les enfants d’Arthémond en avaient (encore était-il bien vague dans l’esprit du benjamin Popaul), altéré, distant, délicat, était le décès du grand-père maternel, Hubert, voilà quatre années de cela. Seul l’aîné Dominique avait eu le droit de voir le corps, de l’approcher en sa toilette mortuaire accomplie, revêtu de son meilleur costume, croisé, en alpaga, avec la pochette de soie, de participer à la veillée funèbre, d’assister à la lecture du testament du disparu, de prendre part aux funérailles, à l’ensevelissement, aux rites obituaires, qui, en cette terre retirée, à part du tumulte parisien, en plein désert français, ne revêtaient pas l’ampleur ostentatoire, le côté baroque des pompes méditerranéennes, italiennes ou espagnoles. Non, au contraire des obsèques latines, dont Dominique subodorait qu’elles ressemblaient toutes au tableau du Greco consacré aux Funérailles du comte d’Orgaz, de ces cérémonies marquées par l’influence tridentine, par la contre-réforme, les rituels funéraires pratiqués chez les Arthémond – bien qu’ils s’en défendissent – se ressentaient de la proximité de ces territoires huguenots occitans. Les Arthémond avaient beau faire preuve de leur catholicisme (acharné chez le père), donner des gages à Saint Pie V alors que le bon pape Jean avait fait part de  sa volonté de moderniser l’Eglise, ils se retrouvaient malgré eux empreints du rigorisme, de l’austérité protestante qui refusait l’absolution, l’extrême-onction, parmi les sacrements.

 Enfin, la métairie fut en vue. Brisquet jappa, trois fois. Il avait senti l’odeur, la présence de Corniaud. D’entre les vieux murs, le chien répondit au chien. L’aboi était normal : quelqu’un au moins était là-bas. Lucille dit :
« Laissez-moi faire. Je saurai amadouer le papy. De toute façon, il nous connaît.»

Les paysans madrés possédaient des cachemailles, des bas de laine… Il ne fallait pas que l’impromptue visite des enfants Arthémond coûtât quoi que ce fût au ménage Martin, accoutumé à l’existence économe ancestrale. Dominique s’arrangerait pour qu’ils évitent de puiser dans leurs réserves : il ne mendierait aucune conserve. Au contraire, il avait caché à ses frère et sœur son intention de récompenser en nature ces vieux métayers pour toute information qu’ils seraient susceptibles de leur fournir. Il avait subtilisé dans le garde-manger une fameuse terrine de chevreuil qu’il avait planquée dans sa besace de randonneur, prête à servir de rémunération. Lucille s’avança jusqu’au seuil de la masure tandis que Brisquet, s’étant précipité vers la niche de Corniaud, lui faisait des fêtes. Tous entendirent des :
« La paix, le chien ! » avant que la mère Martin daignât pointer son nez dehors.
« Les enfants de Monsieur le baron ! s’exclama-t-elle. J’en suis ben honorée ! »
Le trio enfin assemblé au complet devant la bâtisse, elle les étreignit et les embrassa tous, marquant son affection pour ceux qu’elle persistait à appeler ses jeunes maîtres, en particulier pour les deux cadets.
« C’que vous avez encore grandi depuis la dernière fois, mes jeunes maîtres ! Monsieur Paul, vous êtes un petit homme, maint’nant ! Et Mademoiselle est encore plus jolie que tantôt ! Quel bon vent vous amène ?
- Nous voulons parler au père Martin… pour l’histoire du mort dans le champ, vous savez, déclara Lucille.
- Encore ça… Je croyais qu’on nous ficherait la paix…
- Ce n’est pas ce que vous pensez, Madame Martin, reprit Dominique. Nous voulons savoir si des détails, des indices, n’auraient pas échappé aux gendarmes. Nous aimons les histoires policières et…
- Indices ! Quel grand mot ! C’est-y pas pour jouer avec ces choses là q’vous venez ?
- Un peu, certes. Nous jouons, mais pas que cela. Nos intentions sont sérieuses et nous nous ennuyions avant toutes ces affaires. Nous sommes jeunes et pour une fois qu’il y a un événement pour nous distraire, répondit la fillette, la joue encore baveuse du baiser de la paysanne. Et nous ne sommes pas vos maîtres, mais vos amis ; la royauté, la féodalité, c’est du passé, précisa-t-elle.
- Soit, j’y consens. L’Martin ! Hé, l’Martin ! Amène-toi ! Y’a les petits Arthémond qui viennent pour te parler du mort que t’as découvert ! »
Notre forte femme aux bras gras et robustes, après avoir appelé l’époux, ajouta à l’adresse des gamins :
« Ne le brusquez pas, il pourrait vous jeter l’anathème, ou pis, avoir un coup de sang. Il ne décolère pas depuis que les gendarmes ils se sont montrés trop insistants avec le coup des oiseaux qu’il leur a dit peut-être manipulés par que’qu’chose ou par que’qu’un ! »

Après qu’ils eurent perçu un remuement dans les entrailles de l’antique bâtisse, alors qu’une caille opportunément carcaillait à distance et qu’un petit vent aigre agitait les branches dénudées du vieux et majestueux chêne rouvre
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/cf/Quercus_petraea_01.jpg
 qui se dressait à un demi arpent de la grange, ils virent émerger du seuil un vieux bourru, presque bougnat avec sa moustache stéréotypée, en vieille salopette de velours et veston élimé, avec un gilet en sus, pipe au bec. Signe de modernisme : il avait troqué les sabots contre des godillots. Ils reculèrent un peu, comme craintifs, s’accotant, se rapprochant du caillouteux chemin parfois grêlé de boue, bien qu’ils eussent été heureux d’avoir quitté cette sente démacadamisée (d’ailleurs, l’avait-elle été un jour, dotée d’un macadam en cette campagne perdue dont Paris, les ponts et chaussées et le génie se fichaient bien ?) qui avait fait souffrir leurs souliers et leurs pieds, surtout ceux de la délicate Lucille qui s’en défendait et avait par trop longtemps usé de chaussures vernies à lanières de la ville et de socquettes arachnéennes au détriment de ces solides bottes bien plus seyantes et pratiques pour une fillette rêvant de l’émancipation et de l’adolescence.

Le père Martin serra sur sa poitrine sa veste usagée qui plus guère ne le boutonnait, ôta le tuyau de sa pipe de la bouche, cracha au loin, jura en patois puis lança :
« Alors, les mioches, mes maîtres, qu’est-ce que vous voulez encore ? J’ai rien à ajouter sur ce que j’ai déjà conté.
- Nous… hésita Lucille, comme brusquement confite en respect face à ce terrien qui aurait tout à lui apprendre de la manière dont on attrapait des cals aux mains.
- Entrez donc, ajouta la mère Martin. Vous serez mieux à l’intérieur. Commence à faire frisquet dehors. »

Tous trois ne se firent pas prier ; par contre, on refusa l’entrée à Brisquet auquel la mère Martin jeta un os à ronger à titre de compensation.
 A l’intérieur des aîtres, il faisait plus doux, moins humide, bien que les murs, chaulés et épais, de manière à ce que ni la chaleur de l’été ni la froidure hivernale ne pénétrassent trop, n’eussent même pas été tapissés (usage plutôt citadin, d’importation bourgeoise) et que l’ensemble fût marqué par une absence spartiate de confort. Tout y était vieillot, des meubles parfois écorchés, avec ces coffres, ces placards, ce vaisselier, cette armoire massive, à la crémaillère de la pièce dite commune, jusqu’à l’horloge presque auvergnate (proximité de terroir oblige, eût-on pu dire), à la vernissure éraillée et écaillée, bien moulurée par l’ébéniste-artisan expert d’Ambert, d’Aurillac ou d’ailleurs, avec son oblong balancier de cuivre astiqué et brillant qui égrenait sa régularité ancestrale du comput temporel. Elle sonna déjà la demie des trois heures, et les jours étaient courts en cet automne d’un samedi qui avançait trop vite ; elle formait un succédané étréci du clocher, plus proximal que lui, parce qu’on l’entendait mal, la métairie étant assez distante du village le plus proche où l’Eglise avait conservé depuis l’époque du blanc manteau de Raoul Glaber
http://www.yonne-89.net/Images13/Moutiers_Fontaine_d3.jpg
 le monopole ou privilège possessoire de la mesure et du marquage du temps quotidien, le calendrier agraire des travaux et des jours, laïcisé, celui pastoral des bergers, et celui des cycles pascal et de Noël, ecclésial, constituant les autres outils permettant, depuis les siècles des siècles de la christianisation de l’ager et du pagus, de savoir quand exactement nous étions vis-à-vis de Dieu et de la terre nourricière.

Adonc, le patriarche prit place, s’assit sur sa vieille chaise en bois, près la grand’table, où il invita les enfants du maître à faire de même, tandis que la Martine apportait déjà les victuailles hospitalières du compotier, les bocaux et conserves emplis de gourmandises attendues des palais en culottes courtes, les verres et les rafraîchissements adaptés à la fine jeunesse. Il y eut un ou deux abois de Brisquet ou Corniaud, dehors, sans nulle importance sans doute, insuffisants pour troubler l’entrevue enquêtrice.
La mère Martin ouvrit le pot des pâtes de coing, pâtes qu’elle avait préparées avec soin ces jours derniers. L’entour du col des récipients exhalait une odeur rémanente de pruine. Tandis qu’elle proposait ses produits aux enfants, Lucille hasarda une première demande :
« Pourriez-vous nous rappeler, s’il vous plaît, père Martin, les circonstances précises de votre découverte ? »
En matois patenté, le vieux Martin possédait l’art et la manière d’éluder les questions, de détourner les conversations et de répondre à côté. Il fit mine de gratter son gilet de veloutine. Il avait remarqué les culottes de cheval et les bottes de la petite fille, sans omettre que Brisquet était avant toute chose un chien de chasse. Il jeta, sans que cela eût le moindre rapport avec l’attente des enfants :
« Avec l’Corniaud, j’ai pris quelques venaisons avant-hier dans l’sous-bois. Oh, juste deux faisans et un coq de bruyère. Ils sont en train de s’attendrir. Si vous v’lez ben, j’prends ma gibecière et mon fusil et, avec les deux chiens, on s’en va compléter la réserve de viande.
- Bien merci, mais…répliqua Dominique.
- Mademoiselle Lucille, reprit le paysan, si vous portez ces culottes, c’est ben pour l’équitation, et l’cheval, ça a rapport avec la courre, la vénerie… Vot’ père, not’ maître, Môssieur l’baron, il possède ben un vieux titre de veneur de que’que chose ? J’vous apprendrai ben à tirer et chasser, moi.
- Lulu, c’est pas un sport de femme, se permit d’observer Popaul qui commençait à mâchouiller impoliment sa pâte de coing sans attendre que les autres se fussent décidés à débuter leur dégustation.
- C’est que… nous attendions plutôt que vous nous conduisiez à l’endroit où vous avez trouvé le mort… » remarqua, irrité, Dominique.

Les enfants finirent par ne plus se gêner avec les gourmandises du terroir, tentant de prendre leur mal en patience tout en se pourléchant avec ces sucreries autarciques plus saines que celles de l’industrie agro-alimentaire, savoureuses qu’elles étaient car bénéficiant de toute l’expérience culinaire de mères grands qui s’étaient transmis oralement les recettes génération après génération. Lulu réitéra sa question.
L’homme jouait les taciturnes à la perfection. Il rusait, retardait l’instant, sa femme en profitant aussi pour proposer en sus aux gamins un sirop artisanal à base de mûres et de groseilles qu’elle produisait aussi elle-même. C’était collant, poisseux, épais, horriblement sucré et indigeste, de quoi empoicrer les plus belles robes à smocks de la jolie Lucille. Les enfants des campagnards auxquels on en offrait avaient coutume de le déguster pur, sans faire de chichi, parfois à la régalade du flacon croûteux de sucrin blet. On se fichait qu’il fût inconsommable ; la mère Martin en concoctait tous les ans une nouvelle bouteille.
Lucille se lassait. On n’avançait pas. Le vieux appuyait ses avant-bras au bois nappé de la table rustique et grommelait dans ses moustaches jaunies. Les gamins, c’étaient pas des gendarmes, qu’ils fussent ou non les fils et fille du baron. Alors, il jouait avec eux, les roulait. Soudain, il proposa : 
« J’crois ben que Népomucène, not’ rebouteux, producteur d’miel et radiesthésiste, qui sait trouver les sources, il en sait plus qu’moi pour expliquer comment les oiseaux y attaquent… Allons l’voir. Il habite à un kilomètre. »
Enfin une piste !
« Ah, y faut passer justement à travers l’champ où j’ai trouvé l’mort pour couper. Son terrain, l’est limitrophe au mien. Il a plusieurs ruches, précisa-t-il.
- Tu comptes prendre l’auto ? questionna son épouse. Dommage, j’escomptais servir encore des gourmandises. 
- Pas la peine, c’est à pied qu’on y va ! »
Abandonnant comme à regret les bonnes choses, Paul dut se faire prier. Ce fut alors que Brisquet et Corniaud  s’agitèrent en jappements intenses.
« C’est une aut’visite. »

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/3/3f/L%C3%A9on_Augustin_Lhermitte,_Motherhood.jpeg/220px-L%C3%A9on_Augustin_Lhermitte,_Motherhood.jpeg

A suivre...

Aucun commentaire: