samedi 14 juin 2025

Café littéraire : Claudie Hunzinger – Un chien à ma table.

 

Claudie Hunzinger – Un chien à ma table - livre Récompensée par le prix Femina en 2022.

Par Michèle Pouget.

Claudie Hunzinger, née le 9 avril 1940 à Turckheim près de Colmar, est une artiste plasticienne et romancière française. Sa mère, Emma, était professeur de littérature, dont la jeunesse antifasciste et progressiste a inspiré à Claudie Hunzinger son roman « Elles vivaient d’espoir », publié en 2010.
Son père, né en 1896 en Alsace, à l’époque où celle-ci faisait partie de l’Empire allemand, était un naturaliste et un instituteur d’origine allemande. L’histoire de cette famille fait écho aux liens tendus entre la France et l’Allemagne dans la région alsacienne.


















Claudie Hunzinger se distingue par son parcours artistique particulier et la vie aventureuse qu’elle mène. Plasticienne et romancière reconnue, son écriture est ancrée dans son univers familial et culturel.
Dans ses premières années, Claudie a été inspirée par des valeurs qui ont nourri son esprit créatif.
 Issue d’une famille qui valorise l’art et la culture, elle développe très tôt un goût pour l’écriture et les arts visuels. Elle poursuit des études supérieures au Centre de préparation au professorat de dessin, où elle obtient le diplôme de professeur de dessin et est nommée sur un poste de professeur de dessin au Lycée Bertholdy de Colmar.
Dans les années 60, Claudie et son mari, Francis Hunzinger, s’installent à Bambois, ce qui va changer le cours de sa vie. C’est dans ces montagnes qu’elle établit le centre de son univers artistique. Le couple mène une vie proche de la nature, gardant les moutons et cultivant un mode de vie simple et authentique.
Son œuvre artistique (littéraire et plastique)  est orchestrée par la vie qu’elle a choisi de mener, avec son mari Grégoire Hunzinger. Claudie et Francis créent régulièrement de l’art côte à côte, tout en laissant à chacun de leurs talents la possibilité de s’épanouir.
Ils ont deux enfants, Chloé, née en 1966, auteure et réalisatrice et Robin, né en 1969, cinéaste documentariste : ils poursuivent eux aussi une carrière artistique, une tradition transmise par leurs parents.
Plasticienne autant qu’écrivain, elle peint,  avec des mots, la vie et la faune des Vosges qui deviennent les personnages de ses romans. Sa vie se reflète dans ses poèmes, engagés en communion avec le monde naturel, et avec une réflexion commune sur l’humanité et l’environnement.

Artiste plasticienne et écrivain, Claudie Hunzinger est l'auteur de :


- « 
Bambois, la vie verte » récit, Stock, 1973 ;
- « Elles vivaient d'espoir » roman, Grasset, 2010,
- « 
La Survivance » roman, Grasset, 2012,
- « 
La Langue des oiseaux » roman Grasset, 2014,
-  « 
L'Incandescente » roman, Grasset, 2016,
- « 
Les Grands Cerfs » roman, Grasset, 2019, prix Décembre,
- « 
Un chien à ma table roman, Grasset, 2022, Prix Femina,
-  Il neige sur le pianiste, roman, Grasset 2024.


Elle place l’écriture au centre de son travail, explorant le concept du livre, « construisant « des « Bibliothèques en cendres, » tout en publiant chroniques et récits, elle participe à de très nombreuses expositions de ses oeuvres

Les bibliothèques en cendres

Livres
brûlés.


















"Les livres et les bibliothèques de Claudie Hunzinger entretiennent la fiction de livres anciens qu’un feu aurait partiellement détruits. Ces livres couleur de cendres sont à leurs yeux une réflexion noire sur les civilisations humaines. Pourtant, ils illustrent, en même temps que la violence faite aux livres, le souci de leur conservation puisqu’ils témoignent autant de la destruction par le feu que du respect des fragments qui ont été épargnés. Imprimés en blanc sur du papier noirci, ces livres en négatif portent en eux le livre dont ils sont la nostalgie. A moins peut-être que ces signes clairs soustraits aux ténèbres de la barbarie ne renvoient plus fondamentalement à ce livre lumineux que le ciel étoilé fait entrevoir à Mallarmé. A l’inverse de nos textes d’obscurité, inscrits en lettres noires sur une page qui fut blanche, le texte stellaire s’écrit en alphabet de lumière sur fond de nuit. "                         
 Anne Moeglin-Decroix,  chargée de la collection de « livres d'artistes » Département des estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France.

Claudie Hunzinger ne cède en rien aux courants « nature et animalité » qui font fureur en librairie : elle a un demi-siècle d'avance ! « Bambois, la vie verte, » racontait dès 1973 la vie qu'elle s'est choisie dès l'âge de 25 ans, avec son compagnon, Grégoire Hunzinger, sur une « île dans la montagne » (les Vosges), dans une radicalité créatrice. La plasticienne et romancière, « reliée aux humains par un crayon, » écrit-elle, publie en 2022 son sixième roman, « Un chien à ma table » (éd. Grasset).

MICHELE POUGET

jeudi 29 mai 2025

Etude en vert et jaune : prologue 2.

 Léonard de Vinci

Lorsque le Superviseur général de la cité leur commanda d’entrer dans la pièce qui lui servait de bureau lorsqu’il officiait, le peintre Leonardo, un colosse blond à la stature impressionnante et à la longue barbe bien peignée, et le maître de chapelle Johann Sebastian, un homme plutôt gras et replet toujours coiffé de sa perruque caractéristique,

 peinture : Bach en 1746

 pénétrèrent dans la petite salle tout en se jetant mutuellement des regards furibonds. Aucun des deux artistes n’était prêt à faire amende honorable, à reconnaître ses torts.

Daniel Lin conserva le silence durant deux longues et pesantes minutes, puis, estimant que les impétrants avaient assez mijoté dans leur jus, éleva la voix tout en croisant ses doigts fins et fuselés de pianiste virtuose.

- Savez-vous pourquoi je vous ai convoqués tous les deux à cette heure matinale ? La procédure est plutôt exceptionnelle, j’en conviens. De plus, je n’aime pas passer par-dessus le Conseil.

- Superviseur, commença le compositeur, j’ai parfaitement conscience de la gravité de la faute.

- Ah ? Bah ! Moi, je dirais que c’est le maestro Johannes qui s’est conduit comme un goujat vis-à-vis de ma personne ! répondit immédiatement da Vinci, la voix toute vibrante de colère.

- Tous deux, vous vous comportez tels des enfants capricieux. A cause de vos ego démesurés, jeta Daniel Lin posément, sans hausser le ton.

Après avoir marqué une nouvelle pause, le Superviseur reprit.

- Avez-vous réellement à cœur l’organisation de cette fête ? Souhaitez-vous vraiment sa pleine et entière réussite ? Je me le demande sincèrement en cet instant.

- Oui, certes ! firent les deux hommes en chœur.

- Mais qui aura la prérogative de la décision ? interrogea maître Leonardo.

- Aucun de vous deux séparément, dit Daniel Lin avec résolution. Il vous faudra accepter un compromis car le Conseil envisageait une dyarchie.

- Quoi ?souffla le peintre, outré. Va bene ! Dans ce cas, je me…

- Non, maestro ! Il n’en est pas question. Vous n’êtes pas autorisé à vous retirer. Ce serait trop facile… de plus, vous perdriez la face.

- Je m’en moque. Mon concurrent le plus direct mais néanmoins ami Michelangelo peut parfaitement prendre la relève. 

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- C’est à vous qu’a échu cet honneur, insista le Superviseur.

- Je préférerais m’enfermer dans un monastère cistercien plutôt que de travailler avec cette tête de mule ! marmonna alors Johann. Il est encore pire que cet inverti de Leonardo.

- Pas de propos désobligeants ici, articula lentement Daniel Lin. Dans la cité de l’Agartha, vous êtes tous deux égaux. Comme tous les citoyens qui la composent. Il n’est pas question de passe-droit. Vous devez vous en faire une raison.

Leonardo soupira bruyamment et, après un temps de réflexion, dit :

- Il est vrai que, jadis, j’ai œuvré pour les Sforza… Après avoir servi les Médicis… 

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- Entre autres, maître Leonardo, compléta Daniel. Quant à vous, Johann Sebastian, seuls votre sérieux, votre professionnalisme et votre talent de musicien sont à même capables de tempérer les folies du génie de maestro da Vinci. Si je ne me trompe, vous avez eu l’heur de plaire au Grand Frédéric, n’est-il pas ?

- Euh… c’est là le strict énoncé de la vérité, mais… hésita l’Allemand.

- Mais vous n’avez conservé qu’un souvenir confus de la chose, je le sais.

- Dois-je m’en étonner ?

- Nullement.

- Depuis que nous vivons ici, dans l’Agartha, toute notre mémoire, toutes nos actions de jadis semblent s’estomper, souffla Leonardo. Je n’en comprends pas la raison.

- C’est tout à fait exact, approuva Johann. Que nous est-il donc arrivé ? Comment avons-nous pu nous réveiller un matin dans la cité ? On m’a raconté que j’ai été gravement malade, atteint de cécité. Or, aujourd’hui, j’ai retrouvé une santé de jeune homme, une vue d’aigle et une envie de composer plus forte que jamais.

- Moi itou, insista l’Italien. Mon corps plus vigoureux qu’autrefois exige de chevaucher chaque matin Azùl mon destrier. Or, longtemps j’ai cru qu’il avait succombé au poids des ans. Et je l’ai retrouvé comme par miracle ici… je voudrais comprendre les raisons de tous ces mystères.

- Ne cherchez pas des explications logiques. Il n’y en a pas. L’Agartha est en dehors de toute rationalité. Contentez-vous de savourer pleinement votre présente existence sans vous poser de questions.

- Toutefois…

- Toutefois, maître Johann Sebastian ?

- Des bruits plus étranges les uns que les autres courent. Par exemple, le plus récurrent dit qu’ici, la Cité, c’est Shangri-La, le Paradis, le jardin d’Eden, le Rot du Dragon…

- Ensuite ?

- Le temps n’y existerait pas… ou du moins il ne correspondrait pas à celui de l’extérieur.

- Maestro Johannes, vous avez trop fréquenté Lobsang Jacinto ou encore Raeva…

- Vous semblez me le reprocher…

- Pas vraiment. Maître Leonardo, il y a peu, vous vous êtes absenté un long mois.

- En effet, Superviseur. J’avais l’autorisation du Conseil.

- Naturellement. Vous vous êtes rendu d’abord à Florence. Ensuite à Milan…

- Tout à fait… ces détails figuraient dans mon rapport… que vous avez lu, je constate.

- Ma fonction m’y oblige, maître. Qui cherchiez-vous ? murmura Daniel Lin avec douceur tout en scrutant attentivement le moindre changement de physionomie de Leonardo.

- Dois-je satisfaire votre curiosité ? Ne seriez-vous pas en train de dépasser les droits et obligations de votre fonction ? De toute façon, je pense que vous détenez déjà les réponses.

- Je préférerais entendre les explications de votre propre bouche…

- Euh… Je voulais rencontrer… Giacomo… fit le peintre gêné.

- Giacomo !  Tiens donc… Salaï… bigre ! Pourtant, ici, vous ne manquez pas de partenaires… 

 Salai par un élève peintre de Léonard de Vinci (vers 1502-1503).

- Vous ne pouvez comprendre… et bien sûr, vous n’approuvez pas…

- Un euphémisme… mais… tant que cela concerne des adultes consentants… que vous gardez une certaine mesure…

- Vous détestez la pédérastie…

- Non … je n’ai pas à vous juger sur votre sexualité… je ne supporte pas la pédophilie, voilà tout… mais dans l’Agartha, il n’y a aucun pédophile… j’y ai veillé personnellement…

- Sur ce point-ci, vous avez eu raison de jouer de votre influence, murmura Johann Sebastian. 

 peinture : Bach en 1715

- Une influence qui est grande, constata Leonardo. Mais ce n’est pas tout, n’est-ce pas… Vous me reprochez autre chose…

- Avouez que vous vouliez ramener Salaï…

- L’idée m’a effleuré l’esprit, reconnut le peintre.

- Ah ! Tout de même, dit Daniel Lin avec satisfaction. Toutefois, ce n’est pas moi qui formule de nouveaux reproches, c’est le Conseil. J’en suis son dévoué serviteur. Je veille à faire appliquer ses recommandations.

Durant cet échange entre deux fortes personnalités, Johann Sebastian était à la torture. Intérieurement, il fulminait, se tordait les mains. Pour lui, l’Agartha symbolisait tout à la fois le Paradis et l’Enfer. Il ne fréquentait pas les débauchés de la cité. Il qualifiait ainsi Leonardo, Michelangelo, quelques comédiens et comédiennes dont Deanna Shirley de Beaver de Beauregard,

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 des artistes et poètes tels Victor Hugo, Alfred de Musset, ou encore Paul Verlaine et Guillaume Apollinaire, des réalisateurs de cinéma comme Fellini, Pasolini, Jean Cocteau et tant d’autres créateurs. Travailler aux côtés de Leonardo da Vinci lui coûtait donc beaucoup. On comprend mieux ses réticences en disant que sa morale luthérienne ne lui permettait pas de faire preuve de davantage de tolérance.

- Enumérez tout ce dont on m’accuse, Superviseur.

- Enfin, nous entrons dans le vif du sujet, fit le daryl androïde ou celui qui passait pour tel. Le Conseil a constaté ou cru constater que vous avez changé le cours de l’Histoire… involontairement… Giacomo n’est qu’un… détail.

- Mes carnets… mes notes… que j’ai oubliées.

- Des carnets spéciaux sur lesquels vous aviez dessiné des aéronefs, des parachutes, des bicyclettes, des chars d’assaut, des mitrailleuses, des engrenages, des hélices…

- Hum… J’ai commis une grosse sottise.

- Oui, en effet. Mais j’ai réparé votre gaffe. Partiellement cependant.

- Comment cela ?

- Désormais, vous passerez pour un génie précurseur, tout simplement. Pour les historiens de la Renaissance, lorsque vous viviez en Italie, vous vous seriez adonné à des recherches scientifiques, voilà tout. Je me suis arrangé à ce que lesdits carnets soient retrouvés et publiés tardivement. 

 Pages manuscrites comportant deux dessins représentant pour chacun un disque comportant des échelles d'ombres et derrière lequel se trouve des cônes d'ombres.

- Ah ? C’est possible une telle chose ? Diavolo ! Vous m’avez suivi à la trace ! Je suis fâché.

- Désolé… Es tut mir leid.

- Superviseur, fit alors Johann Sebastian Bach, vous n’êtes pas qu’un simple fonctionnaire, aussi haut placé soyez-vous… vous ne vous contentez pas de tout vérifier afin que tout fonctionne sans anicroche dans la cité.

- Bien vu, maestro. Considérez-moi comme une sorte d’ange gardien et ne creusez pas davantage.

- Vous obéissez au Conseil, c’est vrai, poursuivit l’Allemand. Mais il vous arrive également d’outrepasser ses instructions… sans que vous encouriez la moindre remontrance. Je ne me trompe pas…

- Oh ! Mais le Conseil sait lorsque j’abuse, soyez-en persuadé.

- Aucune sanction à votre encontre ?

- Hum… cela ne vous regarde pas, maestro… je suis capable de me morigéner moi-même, n’ayez aucun doute là-dessus. Et je ne suis pas tendre avec moi… Non… pas du tout.

- Je veux vous croire, Superviseur général…

- Il en va de même pour moi, rajouta Leonardo.

- Comme votre unanimité fait chanter mon cœur ! S’exclama Daniel Lin. Mais revenons à notre problème… alors… Quelle décision avez-vous prise tous les deux ? Dois-je me résoudre à faire appel à Michel Haydn

 Description de cette image, également commentée ci-après

 et à Michelangelo Buonarroti ?

- Je vais tâcher de faire un effort, murmura le musicien avec humilité.

Maître Johannes baissa la tête afin de montrer qu’il avait compris qu’il n’était pas au-dessus des autres citoyens de la cité et surtout pas au-dessus du Superviseur.

- Maître Leonardo ? Questionna le daryl androïde.

- Moi de même, acquiesça l’interpellé. Mais… Quant à Salaï ?

- Giacomo reste là où il est présentement ! répondit sévèrement Daniel Lin.

- Vous ne pouvez pas intercéder auprès de Lobsang Jacinto ou de Tenzin Musuweni ? Ou vous ne le voulez pas ? Osa le peintre.    

- Tout à fait ! Maître Leonardo, cela n’est pas négociable. Giacomo est capable de pervertir toute la cité… mon jugement est sans appel le concernant.

- Pervertir… Pervertir… Vous allez un peu fort.

- Il est pourri jusqu’à la moelle. Il vous a volé, trompé, menti, dépouillé, entraîné dans des affaires louches, il a abusé de votre honnêteté et de vos sens…

- Superviseur !

- Dois-je donc décrire les affreux lupanars dans lesquels vous vous perdiez ? Les débauches auxquelles vous vous livriez ? Non ! Ce serait faire injure à votre talent que vous gâchiez et aux oreilles chastes de maître Johannes …

- Comment pouvez-vous connaître ma conduite ?

- Leonardo, je sais tout de vous… hélas… ce n’est pas cela qui vous a qualifié pour l’Agartha… contentez-vous de mes propos…

- Donc ?

- Donc… suivez mon conseil. Modérez vos ardeurs.

- Mais… Si je n’y parviens pas ?

- Vous n’aimeriez pas la sanction qui suivrait…

- C’est-à-dire ?

- C’est-à-dire… rien… je n’ai rien à ajouter.

- La sanction… êtes-vous habilité à la donner ?

- Oui, trois fois oui… hélas…

- Hum… je sens siffler à mes oreilles un boulet de canon… Il n’est pas passé loin…

- En effet.

- Dans ce cas, je vais tenter de contrôler mes instincts.

- Vous faites bien.

- Pensez à Raphael, ou à Michelangelo… cela vous aidera. Pour ne pas sombrer dans le stupre, ils se sont mis à peindre et à sculpter à tour de bras… Ainsi, toute la cité bénéficie de leur génie.

- Je suivrai votre conseil, fit Leonardo en s’inclinant humblement.

- Merci, conclut le Superviseur général.

Le peintre se retira le visage troublé mais dépourvu de rides. Il allait être imité par le Cantor mais un geste impérieux de Daniel Lin retint celui-ci.

- Maître de chapelle…

- Oui, Superviseur ?

- Tous les propos échangés dans ce bureau devront être tus.

- Certes. Il n’était pas dans mes intentions de les divulguer.

- Bien. Je savais pouvoir compter sur vous.

- Superviseur… je crois avoir compris que nous vous devons notre présence dans la Cité.

- Je ne vous le dissimulerai pas davantage. Oui, en effet. Mais j’ai dû batailler ferme pour Leonardo da Vinci… son talent non mesurable l’a sauvé.

- Qui êtes-vous donc ?

- Je ne puis répondre à cette question, maestro…

- Ah ? Mon ami Alexandre dit que vous êtes un daryl androïde… j’ignore ce que c’est…

- Un humain amélioré du futur…

- Hum… dans Shangri-La, nous venons tous d’époques différentes.

- Exact. Je suis originaire du XXVIe siècle.

- Leonardo du début du XVIe et moi du XVIIIe… Comme ces mécréants de Voltaire et de Rousseau… 

 Fichier:Jean-Jacques Rousseau (painted portrait).jpg

- Cela vous choque ?

- Un peu… S’ils ont été sélectionnés, c’est parce que…

- Parce que la cité avait besoin d’eux…

- Vous ne professez pas la foi chrétienne… et votre morale n’a rien à voir avec le Christ.

- En effet. Ne vous demandez donc pas pourquoi il n’a pas rejoint l’Agartha… la réponse serait trop compliquée… et vous n’êtes pas préparé à l’entendre…

- Euh…

- Quant à ma morale personnelle, car j’en ai bien une, je vous l’assure, elle vous paraît élastique.

- Il ne m’appartient pas de vous juger.

- Seriez-vous donc tenté de me faire la leçon avec votre rigueur protestante ?

- Je ne m’y hasarderais pas.

- Tant mieux.

- Vous êtes fidèle à la cité, un bon époux et un bon père. Vos amis, et ils sont nombreux, ne tarissent pas d’éloges sur vous. Je me contenterai de cela.

- Je déteste que l’on me passe la brosse à reluire, maître Johannes…

- Oh ! Pardon…

- Laissons cela. En fait, je vous ai demandé de rester car un problème touchant à l’harmonie me turlupine depuis hier.

- Dites, fit le Cantor soulagé de voir qu’on abordait ce qui lui tenait le plus à cœur, la composition musicale.

- Votre septième diminuée dans votre dernière composition… la mesure 27 précisément. Ce choix vous paraît-il judicieux ? Moi, j’aurais opté pour une neuvième car…

- Redondance, Superviseur…

- Daniel Lin maintenant, je ne suis plus en fonction…

Comprenant que la conversation était partie pour durer, le musicien s’assit et, sortant du papier, se mit à expliquer à son interlocuteur l’effet qu’il recherchait dans la ligne harmonique suivie. En cet instant, Dan El vibrait d’un pur bonheur et en oubliait presque la charge qui lui incombait.

 

*****

mardi 20 mai 2025

La Conjuration de Madame Royale : chapitre 11 3e partie.

 Cependant, le devoir diplomatique m’appelait. Murat nous informa tous de l’imminence d’un spectacle allant au-delà de la diplomatie. Il ne s’agissait pas de La Scala,

 Description de cette image, également commentée ci-après

 qui pourtant devait donner une représentation d’un opéra de M. Paisiello.

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 Je n’entendais pas grand’chose à la virtuosité de l’opéra italien, bien que notre souverain excellât en ce domaine, attirant à Paris tout ce que la péninsule comptait de jeunes talents tels Cherubini,

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 Spontini et Paër.

 Description de cette image, également commentée ci-après

 Je dus me rendre au Castello Sforzesco,

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 qui devait servir de décor à la démonstration d’El Turco. « Enfin, me dis-je ! Je séjourne à Milan avant tout pour cela. »

Nous prîmes place en la grand’salle du Castello, où autrefois, Maître Léonard avait organisé des fêtes surprenantes au service de Ludovic Le More. Une cinquantaine d’invités privilégiés avait été conviée à la démonstration.

Van Kempelen

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 attendait l’assistance et avait déjà procédé à l’installation du joueur d’échecs.

 Reconstitution du joueur d'échecs

 C’était un homme d’un certain âge qui alliait l’obséquiosité du courtisan à la raideur allemande. Il portait un habit démodé proche de ceux en usage à la cour de Vienne sous feu Joseph II.

 Illustration.

 D’emblée, la mécanique d’exception exerça sur moi une fascination extraordinaire et je ne pus m’empêcher d’en observer tous les détails, toute la somptuosité orientale.  Demeurant à peu de distance de l’objet fabuleux dans l’attente que l’hôte nous invitât à nous asseoir, j’exhibai un face-à-main de théâtre et commençai un examen discret. Quelques dames s’approchèrent et la galanterie, me distrayant quelques instants, m’imposa le baisemain. De même, un autre loyaliste notoire, inopinément présent pour « espionner » Murat, le détestable Blacas, ce mielleux favori du comte de Provence, cet exécuteur des basses œuvres loyalistes, s’inclina devant moi, me saluant en hypocrite patenté. Qui se ressemble s’assemble : Chateaubriand et Decazes se tenaient à proximité, tels une coterie, tandis que le lieutenant Beyle demeurait à distance. Les mondanités furent entrecoupées d’observations admiratives de la chose, d’exclamations de ces dames, quoique Van Kempelen nous interdît de toucher sa « création ».  

Seul le grand Philidor,

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 prétendait-on, eût pu battre El Turco ; cependant, ce champion, musicien et théoricien hors pair, notamment du gambit, était mort, chargé d’ans, à Londres, en 1795. Cette partie de titans du damier, des plus hypothétiques, conjecturale même, n’avait pu se produire car jamais van Kempelen n’en avait fait la publicité, préférant que courût la rumeur de l’invincibilité de son champion artificiel, laissant gonfler sa réputation jusqu’au mythe. 

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Fait curieux : en position de repos, l’automate tenait l’avant-bras droit légèrement relevé, replié au coude, la paume de la main en avant, bien en évidence. Ceci me fit songer à ces statues sacrées d’Asie, des Indes ou d’ailleurs, représentatives du Bouddha.

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 Les adeptes de cette religion qualifient cela de geste de paix. Par conséquent, le turban mahométan ou moghol qui coiffait le joueur jurait avec cette main et la turquerie de l’ensemble me sembla forcée. L’aspect originel de l’androïde ne devait point ressembler à cela. Le costume à la turque qui le vêtait était d’une facture plus récente que le reste. Par-dessus la ceinture damassée du dolman ottoman à brandebourgs brochés de l’automate, une étrange bande de cuir ceignait ses reins. Elle était ornée de symboles sibyllins et je me trouvais trop distant pour que mes yeux pussent en distinguer toute la subtilité. Je déchiffrai pourtant quelques signes, semblables à des glyphes ou idéogrammes mystérieux, toutefois bien différents de ceux qui nous avaient été révélés récemment en Egypte.

 Image illustrative de l’article Écriture hiéroglyphique égyptienne

 Il y avait ce qui ressemblait à une roue dentée aux côtés d’un casque antique de chevalier avec en sus l’écu armorié et l’estoc, ainsi qu’un animal articulé apparenté à une crevette ou à une écrevisse.

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 Ladite bande

 Vue d’artiste d’une Machine de Turing (sans la table de transition)

 entourait toute la taille d’El Turco et fort habile de la vue eût été celui qui aurait été capable d’en faire le tour et de discerner lesdits symboles sur toute la circonférence. C’était là pressentais-je la principale énigme posée par l’automate, la raison primordiale qui poussait notre roi à le convoiter. Je me promis de la résoudre.

Le Baphomet – si toutefois il s’agissait bien de lui – avait connu en plusieurs siècles bien des aléas, des métamorphoses et des remaniements considérables. En cette orée du XIXe siècle, il ne ressemblait plus guère – à l’exception de la ceinture ornée de symboles – aux descriptions des chroniqueurs médiévaux, notamment l’Anonyme de Saint-Flour,

 

 ce moine auvergnat du temps du saint roi Louis IX qui avait rédigé une Histoire de l’Ordre de la Bonne Mort. 

 Statue de pierre peinte au milieu d'un décor gothique.

El Turco jouissait d’une réputation d’invincibilité. N’avait-il pas battu Catherine la Grande en personne ? Ne s’était-il pas mesuré au Prince de Ligne, à l’archiduc Léopold et à Frédéric le Grand, qui, courroucé d’avoir été vaincu par une machine, avait renversé l’échiquier ?

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Afin de ne point mettre en doute qu’il s’agissait d’une mécanique, Van Kempelen, comme avant chaque partie publique, procéda aux préliminaires de présentation et d’ouverture des différents compartiments du meuble sur lequel reposait le jeu d’échecs, ainsi que du dos de son Turc factice, révélant des rouages et engrenages complexes nous fournissant la preuve soi-disant irréfutable de toute absence de supercherie.

Les pièces du jeu ainsi que le damier me fascinèrent encore davantage que l’androïde lui-même. Leur travail était difficile à dater. Les pions noirs paraissaient sculptés dans l’ébène et les blancs dans l’ivoire, cet ivoire - prétendait Van Kempelen - que l’on extrait des dents démesurées des taupes sibériennes

 Dessin d'un mammouth sans trompe vu de profil avec des annotations manuscrites.

 qui, parfois, lors de la débâcle qui suit l’hiver des steppes, surgissent des profondeurs de la terre, si l’on en croit les légendes rapportées par les peuplades iakoutes, tchouktches

1906

 ou toungouzes. Georges Cuvier penchait pour l’hypothèse de momies d’éléphants primitifs piégés autrefois dans le gel et la tourbe.

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 Il avait eu le loisir d’examiner une de ces momies, bien abîmée, mais qui avait conservé des défenses impressionnantes, dépouille qu’un voyageur intrépide avait rapportée de Sibérie centrale jusqu’au Muséum. Une fourrure rousse adhérait encore à la charogne dont les loups et tigres blancs avaient dévoré la trompe. J’admirai en connaisseur la patine de ces pions, patine qui témoignait d’un usage répété. Çà et là, les pièces blanches se mouchetaient de tachetures jaunâtres et de minuscules fissures témoignant de l’ancienneté de l’ivoire tandis que les noires laissaient deviner les veinures vénérables des arbres multiséculaires dont elles étaient issues. Ces arbres avaient en quelque sorte donné leur vie pour que le présent jeu d’échecs fût des plus efficients. On avait sculpté et taillé les pièces afin qu’elles tinssent parfaitement l’équilibre sur l’échiquier et fussent d’un maniement tactile aisé. Le vieux bois comme le vieil ivoire témoignaient de l’ancienneté d’El Turco qui, avant Van Kempelen, avait connu des possesseurs multiples, dont, prétendait-on, Tamerlan et les grands khans Moghols.  

 Illustration.

Quant au damier lui-même, il s’agissait d’un remarquable ouvrage de marqueterie dont la façon témoignait d’une expertise soit rhénane, soit bohémienne, œuvre d’un artisan inconnu ayant peut-être vécu sous la Guerre de Trente Ans. Les carreaux blancs semblaient nacrés et les noirs laqués.

Je n’étais point un néophyte puisqu’en 1785, la chance m’avait été donnée d’affronter Philidor en personne. Je confesse avoir été battu par le champion qui, généreux et magnanime, daigna – peut-être était-ce en raison de mon nom illustre et de mon rang, afin de ne point me fâcher ? – m’enseigner les rudiments du gambit,

 Gambit de Budapest — Wikipédia

 cet art insigne qui consistait à sacrifier des pions lorsqu’il le fallait afin de parvenir à ses fins contre son adversaire, un art dont il fut l’initiateur et le théoricien. Nécessité fait loi, dit-on. Ainsi appris-je de l’auguste bouche et des doigts experts du grand musicien et joueur le gambit de la Dame. N’y voyez point un libertinage voilé, un jeu de mots grivois qui eût enchanté Monsieur de Riquetti de Mirabeau.

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 Mon étude achevée, je rangeais mon face-à-main.

Van Kempelen tapa des mains, invitant le gratin à apprécier le confort des fauteuils et des chaises en plus de la qualité du spectacle. La représentation allait débuter. Je m’assis à deux rangs derrière le prince Borghèse.

 Camille Borghèse

 Joachim Murat, chef de notre délégation, figurait logiquement au premier rang. Bientôt, espérait-il, un royaume à sa mesure serait taillé pour lui. Pourquoi pas celui des Bourbons de Naples qu’il convoitait et comptait rebaptiser royaume parthénopéen ? Neipperg et son ordonnance Apponyi avaient répondu à l’appel de l’étrangeté. Leur dolman rivalisait d’ostension et d’ornements superfétatoires avec celui de Murat en personne. C’était à qui affichait le plus de galons, de brandebourgs et de passepoils, sans oublier les dragonnes des sabres – car ils avaient pris soin de venir avec leur attribut tranchant – qui étaient suspendues en des nœuds complexes, tout comme les glands de leurs bottes à la Souvorov tant cirées à la perfection qu’elles brillaient autant que des psychés, reflétant çà et là des éléments ornementaux du parquet et des pieds des fauteuils sur lesquels chacun reposait. Les pistolets d’arçon et les sabretaches aux courroies ouvragées avaient bénéficié des mêmes soins maniaques. Toutefois, un détail nuançait la somptuosité guerrière des uniformes : le catogan de l’aide de camp Apponyi frisait le ridicule en cela que, à la semblance de ces portraits de profil de Monsieur Toussaint-Louverture,

 Toussaint Louverture

 ce grand rebelle de Saint-Domingue, il pendait, démesurément long et mince, en une torsade si serrée qu’elle rappelait la queue d’un rat blanchie à la chaux, plutôt que la natte tressée d’un mandarin chinois.

De même, Neipperg et Murat, rivaux on ne savait pourquoi, paraissaient s’observer en chiens de faïence, s’épiant mutuellement tout le temps que dura le spectacle.

Après que Van Kempelen eut mis le mécanisme en marche, un curieux tic-tac d’horlogerie se fit entendre. Les engrenages de l’androïde activèrent son bras droit. Finie, la main de paix ! Elle s’abaissa vers les pions. Ce geste était semblable à un défi. Le champion attendait que son premier adversaire se mesurât à lui. Qui donc se dévouerait ? Qui ne se montrerait point pleutre devant l’inquiétante mécanique trop humaine ?

Me préoccupant d’avantage du public, je l’observai, spéculant sur le courageux adversaire potentiel d’El Turco.  La présence du comte di Fabbrini en ce lieu me stupéfia. Etait-ce à dire qu’il me surveillait ? Avant qu’il ne fût assis, il m’adressa un regard noir, comme chargé de reproches et de méfiance. Redoutait-il que je trahisse ma mission et mon roi au profit de tous ces loyalistes de la coterie de Blacas que ce dernier avait eu la goujaterie de me présenter ? Seul Monsieur de Chateaubriand trouvait grâce à mes yeux. Je le savais farouche, ancré dans ses convictions, pétri dans la critique et le reproche, sévère envers l’ancienne famille royale, quelles qu’eussent été les responsabilités et les fautes de Louis XVI – celles-ci étant bien lourdes – dans ce qu’il fallait bien qualifier de coup d’Etat du connétable Buonaparte. Le Bourbon, malgré la mise en garde de ses frères, avait fait preuve de naïveté et de faiblesse. Son indécision – même Henri III avait su faire preuve de hardiesse lorsqu’il s’était résolu à l’assassinat au nom de la raison d’Etat – avait été fatale à son trône. Marie-Antoinette et Madame Royale lui avaient explicitement fait comprendre que, pour préserver son autorité, il eût fallu qu’il agît comme ses prédécesseurs envers Jean sans-Peur, le duc de Guise, Biron et Concini.

 Image illustrative de l’article Concino Concini

 Ainsi s’expliquait l’inimitié tenace de François René de Chateaubriand à l’égard de Louis XVI. Il souhaitait certes un roi légitime, à condition qu’il fût à poigne. Et la poigne s’incarnait pour l’heure en la personne de Napoléon le Grand.

A la parfin, un premier courageux se jeta dans l’arène.

Tour à tour le prince Borghèse, Murat lui-même, divers courtisans jusqu’à Pauline en personne, se mesurèrent, par jeu, à l’implacable mécanisme anthropomorphe. Le spectacle promettait de sombrer dans la monotonie, tant El Turco, affichant une morgue synthétique accompagnée d’une insolence impavide, maîtrisait en un tour de main ses adversaires inconscients et inexpérimentés. Il lui suffisait de quelques minutes et d’une poignée de coups pour les vaincre à chaque fois. A la défaite sans appel de Murat, Neipperg arbora un peu discret sourire. Giovanni Torlonia,

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 duc de Bracciano et comte de Pisciarelli, s’avéra légèrement plus coriace, donnant davantage de fil à retordre au champion. Sans doute ses origines auvergnates, alliées à ses fonctions prestigieuses d’administrateur des finances du Vatican, y étaient-elles pour quelque chose dans sa pugnacité. Torlonia, calculateur comme tout ami du pape, tint une demi-heure – du moins pus-je mesurer ce laps de temps avec ma montre de gousset, sans que je regrettasse ne pas posséder quelque chronomètre qui m’eût permis d’ajouter à la partie le nombre précis des secondes. Certes, le duc de Bracciano s’était concentré sur les pièces, observant attentivement la position de chacune sur le damier avant d’avancer son jeu, mais cela n’avait pas été assez et, après quelques coups hasardeux de l’Italien au résultat desquels El Turco ne perdit pas un pion, comme s’il avait lu dans les pensées de l’adversaire et eût anticipé le moindre geste de sa main droite, il lui suffit de trois autres coups pour terrasser le compétiteur. Penaud, Torlonia abandonna, la mine contrite, son roi et sa reine perdus, sans que je pusse subodorer que cette défaite, aussi glorieuse que celle de La Hougue selon Louis XIV, obérât ses chances d’obtenir sous peu le marquisat.

A suivre...


samedi 19 avril 2025

Café littéraire : Les Sources, par Marie-Hélène Lafon.

 Les sources 

Marie-Hélène LAFON

Présentation de Bénédicte Mitrano.

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Marie-Hélène Lafon est une professeure agrégée et auteure française, née le 1ᵉʳ octobre 1962 à Aurillac. Elle enseigne le français, le latin et le grec dans le collège Saint-Exupéry dans le 14e arrondissement de Paris, en banlieue parisienne, puis à Paris, où elle vit. Célibataire et sans enfant, elle déclare n'en avoir « jamais voulu ».

Son œuvre est en partie consacrée au Cantal dont elle est originaire.

Elle est lauréate de nombreux prix littéraires dont :

Prix Renaudot des lycéens 2001 pour Le Soir du chien.

Le prix Goncourt de la nouvelle en 2016 pour Histoires.

Prix Renaudot en 2020.pour Histoire du Fils 

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Le livre

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Les sources" nous dit les peurs, les envies, les regrets et les non-dits d'une femme seule "au corps mou et vide", qui subit la violence physique et verbale de son mari, dans les années 70, en Auvergne. Un texte court, à l'écriture précise et touchante.

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Les sources est un récit bref et dense qui se déroule dans le Cantal, entre la ferme de Fridières, celle de son enfance à ELLE, celle de Soulages, qui est celle d’enfance de son mari où habitent encore les parents.  Les lieux sont séparés par un ruisseau, le Résonnet. Et puis, une troisième ferme plus isolée, dans la vallée de la Santoire, à quelques quatre-vingt-dix kilomètres de là, acheté par le couple d’Elle et Lui. Ils s’y sont  installés (Elle et Lui) avec leurs deux petites filles, Isabelle et Claire et Gilles, le fils qui  naîtra quelques mois plus tard. 

Autant de lieux et de paysages familiers au lecteur de Marie-Hélène Lafon, dans lesquels se joue le drame de la vie d’ELLE,   autant de « sources » comme dit Claire qui préfère ce mot à celui de « racines », qui jamais ne disparaissent. 

Ce nouvel opus de Marie-Hélène Lafon en est probablement la preuve la plus indiscutable.

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Trois sections, trois époques. D’abord, le samedi 10 et le dimanche 11 juin 1967, première section consacrée au personnage de la mère (ELLE), à sa vie, et c’est elle qui est le narrateur.

Puis le dimanche 19 mai 1974, du point de vue du père (LUI).

Mais, à partir de ce moment précis, nous ne saurons plus rien de la mère si ce n’est ce qu’en pense le père, dans la deuxième section du livre, celle du dimanche 19 mai 1974, sept ans plus tard. Elle nous est retirée, brutalement, à nous lecteurs qui sommes alors à la merci des pensées du père, en défaveur de la mère.

 Enfin le jeudi 28 octobre 2021, jour d’automne où Claire, la cadette (qui évoque immédiatement le personnage principal des Pays), retourne à la ferme pour quelques instants à peine, bref épilogue d’une douceur surprenante. 

Monts du Cantal.

Trois sections donc, dont la première couvre plus de quatre-vingts pages, la dernière à peine quatre.

L’écriture est magnifique, ciselée, précise, tranchante, contemporaine. D'une écriture pressée, chaque mot  pesé, à sa place, sans gras, la romancière parvient à suggérer une atmosphère tendue comme un arc par la violence du mari qui fait régner une terreur sourde, dans la maison une terreur sourde, qui n’attends que ça pour frapper. D'une écriture concise, Marie-Hélène Lafon considère le point de vue de chacun, l'animosité d'un couple, la fuite d'une fratrie partageant la nature et le jeu. Témoignage d'une époque où le paraître pouvait cacher un calvaire, où l'on taisait les reproches. Roman bouleversant, accompli et incisif.

Note du lecteur.

Tout au long de la lecture j’avais l’impression de faire partie de son espace intime.

C’est un livre que j’aurais aimé écrire.

Bénédicte Mitrano.

Vaches Aubrac sur le Plomb du Cantal.