Quelques jours avant ces péripéties, Pierre-Simon de Laplace
avait remis à Georges Cuvier
une version préliminaire de son rapport d’analyse de la Theoria Sacra de Burnet.
Il avait agi ainsi afin que le pionnier de la paléontologie l’approuvât ou y apportât des rectifications. Les connaissances de Cuvier en géologie étaient celles de son temps. Il savait Burnet déjà obsolète et peaufinait sa théorie catastrophiste cyclique impliquant une succession de déluges entraînant des extinctions massives des faunes du passé. Le chevalier de Lamarck s’opposait à Cuvier et préparait son propre ouvrage sur le sujet.
Le scientifique protestant consacra peu de temps à l’examen du compte-rendu de Laplace. Rédigé d’un ton neutre, dans un style laconique, il avait cependant suffisamment de consistance et recelait assez d’arguments convaincants pour recevoir l’aval de notre futur baron encensé par Balzac.
Celui qui, à partir d’un minuscule ossement, voire d’une simple dent fossile, aurait la réputation de parvenir à reconstituer un animal antédiluvien tout entier (si toutefois on se conformait à sa théorie que Lamarck puis Geoffroy Saint-Hilaire battraient en brèche avec plus ou moins de bonheur), celui qui, disions-nous, deviendrait le porte-drapeau officiel de la science napoléonide avec Dupuytren, Corvisart
et Fourier, exprima son approbation par quelques haussements d’épaules, par une série de « fort bien, fort bien » exprimés avec la ténuité d’un simple marmottement, tout en feuilletant et lisant en diagonale quelques passages sélectionnés arbitrairement à la mine de Monsieur Conté, passages qu’il jugeait plus intéressants et dignes d’attention que d’autres.
« Eh bien, cher collègue, répondit-il à Laplace en lui restituant le document, je puis conclure que l’affaire est en bonne voie. Notre roi n’a plus qu’à faire financer par Barbé-Marbois –
ah, ces subsides à lever sans faire gronder le peuple ! – notre expédition en Asie et à persuader un grand géographe et voyageur neutre de la diriger pour que la messe soit dite. Vive la mine de graphite, mort à la mine de plomb ! A propos, il nous faudra grimper, n’est-ce pas ? Souffrez-vous du vertige ? »
Laplace en savait suffisamment en géographie pour connaître l’existence de la chaîne himalayenne. Nul, parmi nos savants, ne possédait la témérité nécessaire à l’ascension de roches vertigineuses et de monts escarpés tels que l’ancien royaume Lo en comportait. Aussi, sachant que Monsieur de Saussure avait payé sa dette à la nature depuis jà plusieurs mois, suggéra-t-il d’associer au chef projeté de l’expédition – von Humboldt – le guide de montagne Jacques Balmat,
vainqueur du Mont-Blanc en 1787. Balmat, par son expertise, sa pugnacité et son agilité, jouerait le rôle équivalent à celui du pilote des glaces dans les voyages arctiques et antarctiques du siècle qui s’amorçait. L’astronome chevronné répondit aux questionnements de Cuvier :
« Que nenni. Il serait tout de même bon que notre monarque engageât le sieur Balmat aux côtés de notre explorateur prussien.
- Le saviez-vous ? Une délégation secrète est en route pour le Nouveau Monde afin de convaincre notre naturaliste et baron berlinois. Nos informateurs espagnols ont fort bien travaillé ces dernières semaines. Le fruit mûr attend d’être cueilli. »
A suivre...
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