A peine eûmes-nous achevé de nous encorder, alors que nous nous apprêtions malgré tout à gravir l’escarpement qui, sans nul doute, nous séparait de la cavité recelant le sépulcre de Langdarma, cela malgré le péril que représentait le tulpa simiesque, nous nous trouvâmes pris entre deux feux, celui de la créature fabuleuse qui gardait l’accès au tombeau et un autre, auquel toutefois nous attendions la venue, c’était-à-dire la colonne de cipayes assoiffés de sang commandée par le gouverneur Cornwallis en personne.
Nous n’avions pas le choix ; nulle autre alternative ne s’offrant à nous, Humboldt opta avec intrépidité pour l’ascension de l’escarpement, quelle qu’eût été la menace du « Migou ». Balmat attaqua le premier, hardiment, ayant pris la tête de la cordée, assenant un coup d’alpenstock à la paroi accidentée, coup d’une telle force qu’il aurait éventré un cheval. Nous avions laissé nos yacks à la garde d’un Gurkha, mais, comme de juste, ce dernier ne put suffire à arrêter l’avancée de l’ennemi. L’infortuné Népalais fut promptement saisi et se retrouva captif des habits rouges et de leurs auxiliaires. Ainsi débuta une singulière poursuite ascensionnelle entre notre cordée et des soldats déterminés à nous nuire.
Les Anglais entamèrent leur montée par le flanc gauche de ce promontoire, de cette aiguille qui n’en était pas tout à fait une, ayant choisi l’ubac, tandis que nous gravissions le versant localisé à l’adret. Ils avaient perdu de leur superbe, leurs rutilants uniformes cramoisis dissimulés par des pelisses disparates, superposées les unes aux autres avec une anarchie certaine, afin de les protéger des morsures d’un froid vif qui mais ne relâchait son emprise sur les épidermes. Autant s’être équipés pour une expédition vers l’Arctique en quête du passage du Nord-Ouest, expédition dont l’issue serait aléatoire.
Cependant, nulle corde chez nos adversaires ! Certains parmi les cipayes avaient fabriqué de ridicules échelles de fortune, semblables à celles qui, au Moyen Âge, servaient à la poliorcétique. Nous doutâmes à juste titre de leur solidité et leur stabilité. J’escomptais que le « Migou » tirerait profit de cet équipement rudimentaire, spéculant sur la prise de position du monstre en notre faveur ! D’autres adversaires s’affairaient au sol, remuants comme des fourmis, occupés vaille que vaille à façonner des espèces de ponts de branchages dont la matière première, venue on ne savait d’où, n’était pas plus épaisse que celle servant à fabriquer fascines et fagots.
Ces « ponts » passaient de bras en bras, se tendaient entre deux crevasses, et les cipayes s’empressaient d’y ramper avant que les échelles prissent le relais. En d’autres circonstances, nous nous serions émerillonnés à ce spectacle que nous offraient ces machines humaines, si le souci de parvenir au sommet de l’escarpement sans que le singe géant nous nuisît n’avait dominé. Nous nous hissions de toutes nos forces, mordus par le froid, la corde enserrant notre taille, nous agrippant à la moindre et rare aspérité contondante au risque de nous meurtrir les mains malgré la protection insuffisante de nos gants, tout au long de la paroi haute de cinquante toises, Balmat et le sherpa Muljing en tête. Puis alternaient les dix Gurkhas restants et mes confrères. Une longue file ascensionnelle, convenez-en. Girodet-Trioson clôturait la cordée,
juste aux pieds de Fourier, embarrassés tous deux par leurs matériels de dessin et de mesure. Cela les alourdissait et nous ralentissait. Curieusement, les ennemis avaient l’aisance des écureuils, comme s’ils fussent nés montagnards. Rajiv marmonnait dans sa barbe d’ascète désormais barbouillée de givre et de glaçons, priant sans doute une déité hindoue. Arthur portait Atma, attaché à son dos dans une couverture, parce qu’il s’était refusé à laisser son chien tout en bas auprès des yacks. La nature s’amusait à nous tourmenter, quelque Bonhomme Hiver œuvrant à notre encontre, son haleine de bise pénétrant nos couches de vêtements afin de brûler notre chair.
Malgré tous les désagréments mordants occasionnés par les éléments, nous poursuivîmes notre montée de ce monument rocheux naturel, dont l’apex
se rapprochait inexorablement, mûs par l’espérance, partagés entre la crainte des actes cruels que le singe surnaturel pourrait nous faire subir afin que nous ne violions pas la tombe dont il avait la garde et le risque que Cornwallis diligentât ses soldats et nous prît de vitesse. Nous devinions que leur agilité et leurs astuces dépassaient l’entendement humain. Muljing et Balmat s’essayaient à n’en avoir cure, se concentrant sur leur tâche, sur leur responsabilité engageant nos vies, l’un frappant la pierre glacée de l’alpenstock, y créant des encoches nécessaires à nos mains et nos pieds, l’autre l’informant par des gestes, des signes et des mots lancés en Népali - qu’aussitôt, Rajiv derrière eux traduisait en hindi et Arthur en français – de l’emplacement rocheux exactement propice et approprié à la confection de ces creux permettant de placer nos extrémités, en usant tels des degrés sommaires sculptés dans un matériau brut. Muljing, grâce à ses savoirs ancestraux transmis de génération en génération depuis des siècles, connaissait si intimement le Mustang et ses reliefs qu’il vivait en osmose parfaite avec la montagne. Les vocables multiples qu’il utilisait pour désigner avec exactitude telle sorte de roche, son niveau de dureté, de résistance, ses découpures et sa stabilité, témoignaient d’une science exacte surpassant les connaissances de tous les naturalistes et tous les géologues, mot suprêmement récent, qui n’avait que trois ans, et que j’avais moi-même contribué à créer.
Une nouvelle manifestation du harfang interrompit mes spéculations. Le rapace passa au-dessus de notre cordée en quelques battements d’ailes et, parvenu tout au sommet de l’escarpement, se posa sans façon sur la tête crêtée du tulpa simien, afin, supposai-je, de le seconder. Sitôt en cette posture qui eût paru grotesque à d’autres, il émit des hululements. D’emblée, à peine eût-il ouï son comparse, l’avatar de « Titanopithecos »
ouvrit grande sa gueule aux crocs disproportionnés et de celle-ci s’exsuda une onde éthérée tout à la fois verdâtre et bleuâtre, une sorte de fluide galvanique qui émit des étincelles et s’alla plonger droit non pas sur nous, mais à notre opposé, soit sur nos ennemis. Ledit fluide électrique, aussi prompt et puissant que la foudre, puisant son énergie des entrailles mêmes du tulpa, illumina les cipayes à la manière des feux Saint-Elme qui d’ordinaire, se manifestent en haut des mâts des navires affrontant les tempêtes. Bientôt, tous nos adversaires furent enveloppés d’un halo sinople brasillant et grésillant.
Ces derniers avaient dû transporter leur commandant, ayant confectionné à son usage exclusif une espèce de nacelle tressée dans laquelle l’imposant Anglais avait pris place, nacelle que quatre militaires hissaient le long de la paroi à la force de leurs bras.
Le « Migou », sans que je me l’expliquasse, avait pris parti pour nous ! Admettons que le harfang le commandait.
Les feux Saint-Elme joviens
frappèrent indifféremment bois, métal, poil et étoffe, fulgurants d’un crépitement de jadéite. Un embrasement quasi général s’ensuivit. Un feu consuma la plupart des échelles des cipayes ; bientôt, des formes noires, carbonisées, fragrantes d’une blettissure brûlée, dégringolèrent en tas immondes du promontoire jusqu’au précipice. L’ira deorum, la colère des dieux de l’Himalaya, nourrie de la haine inexpiable des Anglais, les avait châtiés sans merci.
Les échelles encordées rescapées redoublèrent leurs efforts ; au bas de l’une de ces colonnes épargnées, oscillait la nacelle dans laquelle se trouvait un Cornwallis qui exprimait son épouvantement. Nous ne pouvions comprendre qu’il se sentait trahi, que la vengeance du disciple, de la créature de Pygmalion, s’exerçait contre son mentor.
Comme pour parachever son offensive, le Migou expira de sa bouche de titan une nouvelle arme imparable. Afin d’en terminer avec ceux qui avaient réchappé au carnage, il envoya à leur assaut des essaims constitués de milliers d’hyménoptères impossibles. Il ne cessa d’exhaler ces nuées agressives ciblant de leur vindicte piquante les cipayes et habits rouges rescapés de la foudre des feux Saint-Elme.
Tout en bas, le Gurkha captif voulut profiter des aléas de la bataille. Il constata le relâchement de sa surveillance ; les ennemis avaient fort à faire avec l’escarpement au détriment de sa personne et des yacks. Il eut tôt remarqué que les « cadavres » carbonisés, aussi morts qu’ils parussent, tentaient de se régénérer avant même qu’ils parvinssent au sol. Pour lui, c’étaient des démons rebelles du Bardo. Il parvint à se défaire de ses liens grâce à une lame dissimulée dans la ceinture de son manteau fourré et matelassé – les cipayes avaient négligé de le fouiller !
Il les vit distraits par la chute de leurs camarades dont les corps brûlés pleuvaient sur eux. Quelque peu affolés, ils s’empressèrent de constituer à la hâte de nouvelles échelles, négligeant les victimes du feu Saint-Elme qui essayaient de se reconstituer. Des formes horribles, toutes noircies, encore fumantes, se redressaient çà et là, et des cloques de chair rosâtre, anarchiques, repoussaient, kystiques, jusqu’à ce que les organismes ressemblassent à des baudruches composites enflées de sortes de bubons hideux. Les soldats indemnes, pris de panique, détalèrent, préférant encore retenter leur chance vers le sommet plutôt que d’affronter ces ressuscités d’un nouveau genre. Quant au sherpa que, rappelons-le, les Anglais avaient recruté sous la contrainte, il avait depuis longtemps pris ses jambes à son cou.
Le Gurkha se surprit à égorger divers adversaires, qu’il saigna sans autre forme de procès. Sans nulle répugnance, il officia même sur un des carbonisés, à la reconstitution inachevée, dont il alla jusqu’à trancher la tête boursouflée de croûtes et de boutons proéminents qui présentaient d’indéniables analogies avec les pustules de la petite vérole. Il libéra les yacks qu’il alla mettre à l’abri, toujours profitant de la confusion du camp de Cornwallis.
Cependant, l’attaque des essaims s’accomplissait sur les colonnes montantes des Indes anglaises.
Les dards qui les harcelaient et les perçaient étaient aussi longs, aigus, acérés et pénétrants que des javelines. Nulle épaisseur ne pouvait leur résister, même métallique. Le venin instillé rongeait et pénétrait le cuir comme le fer. Cipayes et privates ne tardèrent pas à se couvrir d’œdèmes impressionnants, aussi volumineux que des œufs de pigeons.
Certains, piqués à la gorge, avaient des goitres qui gonflaient jusqu’à éclater en une éclaboussure immonde d’ichor et de sanies. Ils lâchaient leurs échelons, déséquilibrant ceux qui les suivaient, les entraînant dans leur chute. Les mains, quoiqu’elles fussent gantées, enflaient aussi, scrofuleuses, couvertes d’apostumes, et les plaies des visages rappelaient tout à la fois la lèpre et les écrouelles. Ils ne pouvaient même plus hurler leur douleur et s’ils se débattaient pour se débarrasser des insectes, ils tombaient. Leur impuissance devenait paroxystique.
« Bande d’incapables et de pleutres ! » fulmina le soi-disant lord-gouverneur recroquevillé dans sa nacelle qui se balançait de plus en plus, espérant que les prodigieux frelons l’épargneraient.
Dans le vacarme tonitruant de milliers de vibrations d’ailes aux membranes irisées, les hyménoptères, leur hargne décuplée par la multiplication de leurs piqûres, continuaient d’en découdre en s’acharnant sur leurs proies. Certains cipayes se retrouvaient enveloppés d’un nuage noir bourdonnant d’une intensité démentielle. Ces insectes grégaires s’agglutinaient, s’aggloméraient par grappes, môles et pampres sur presque chaque grimpeur restant, pénétrant par tous les orifices, yeux, oreilles, nez et bouche, se frayant un chemin jusqu’à la gorge et aux méninges, envahissant de leur pullulement tous les organes internes des soldats qui, s’ils n’étouffaient pas, succombaient à l’explosion interne de leurs fressures et viscères. Les rois[1] des guêpes, abeilles et frelons aux longues pattes pendantes, s’insinuaient même dans les cerveaux des victimes, leur occasionnant des tourments incoercibles, d’autant plus qu’en leur offensive ainsi guidée, ils entraînaient à leur suite tout l’essaim qu’ils commandaient.
Nous gravîmes ainsi tout l’escarpement sans que jamais les créatures mythiques s’en prissent à notre cordée, alors que nos ennemis connaissaient conjointement l’hécatombe et la déroute.
Bientôt ne demeura plus qu’un quart des effectifs indemne n’ayant ni éclaté, ni brûlé ni chuté ; le singe-tulpa aux membres multiples, nouveau Shiva l’anéantisseur, trouva cela juste et bon. Restait à administrer à l’ennemi le coup de grâce, avec le regard approbateur du harfang. De la place où il se tenait dressé en fulminant sa hargne, le monstre avisa à proximité la présence d’un aiguillon instable composé de roches mal agglomérées en moellons mêlés de concrétions de glace sale que la chouette des neiges lui avait désigné par un tour de tête hardi dont seuls sont capables ces rapaces. Le tulpa n’eut plus qu’à marcher jusqu’à ce petit pic,
authentique amas de pierrailles aiguës, accumulées en une élévation d’environ cent vingt toises auxquelles il fallait additionner soixante-dix coudées formant tout le sommet pointu de l’aiguillon digne d’un pyramidion, pierrailles acérées hétéroclites dont le socle incertain servait en quelque sorte de soutènement voire d’étançonnage. Le tout faisait songer à un chörten naturel quelque peu phallique (cela sans offenser les dames de qualité) qui se fût trouvé là non par hasard. L’être légendaire autant que démoniaque commença à attaquer la base de l’aiguillon de tous ses membres antérieurs, le déstabilisant en exerçant sur lui sa pression imparable. Cette concrétion naturelle providentielle (comment la désigner autrement ?) devait peser plusieurs dizaines de milliers de livres, si j’en croyais la densité approximative des matériaux divers la composant. Je n’allai pas jusqu’à la comparer à l’aiguille d’Etretat, dont la fortune picturale restait à faire.
Sous la poussée titanesque des quatre bras du fabuleux simien à la fourrure cristalline, toute la structure lithique et glaciaire s’ébranla, finissant par s’effondrer en un fouillis d’agrégats de poussière, d’éclats givrés et de roches, jusqu’à dégringoler droit sur les survivants de la troupe de Cornwallis jusque-là relativement épargnés dont les cordées d’échelles, aussi fragiles et sommaires qu’elles nous parussent, toujours harcelées par les frelons géants et accablées de piqûres, continuaient cependant de céder les unes après les autres. Cela fut comme une pluie de mitraille. Le lord-gouverneur, tout à sa rage, prostré dans la nacelle dont l’oscillation s’accentuait, assista impuissant à l’extermination des débris de son armée tout en s’accroupissant, pensant, par cette attitude, se garer contre la pluie de gravats.
Cependant, alors que se dénouait le dernier acte de la tragédie anglo-indienne, nous parvînmes au sommet de l’escarpement sans que ni le Migou, ni le harfang, ne prêtassent la moindre attention à notre exploit. C’était comme si nous n’eussions pas existé ou que nous fussions demeurés hors de leur champ de vision. Nous conjuguâmes la chance au courage.
Tout en bas, les victimes écrasées en l’abîme allèrent s’amoncelant. Les couches de corps s’empilaient les unes par-dessus les autres, provoquant l’enfoncement progressif des strates inférieures. Les premiers « morts » - puisque l’imminence de leur régénération complète demeurait malgré tout parmi les hypothèses plausibles bien qu’ils fussent presque charbonneux – réceptionnaient leurs congénères, ce qui anéantissait de facto leur tâche reconstituante en cours. Ces dépouilles (provisoires ?) intumescentes et noires exsudaient un suc d’ichor et de flegme d’une immonde putridité et exhalaient une fragrance vomitive de graisse calcinée. Un sang verdâtre jaspait les autres « cadavres » démantibulés des cipayes (« clones », préciserait Johann van der Zelden, insistant sur leur nature fondamentale et intrinsèquement extrahumaine) envahis par les boursouflures et œdèmes occasionnés par les frelons, organismes tôt avalés, digérés par la neige vorace de l’avalanche que le Migou-tulpa avait ainsi générée. Ils s’enfoncèrent donc tous, engloutis par la neige, avalés par la terre meuble, comme en une ingestion prédatrice obscène. La montagne allait digérer tous ces corps, avant qu’un beau jour proche ou lointain, elle les restituât, congelés ou momifiés, à la faveur d’une fonte estivale. Ainsi, ils deviendraient autant d’objets d’étude pour mes élèves ou pour leurs héritiers.
Quelques-uns parmi eux – seulement quelques-uns, au final, observa l’Ennemi - avaient conservé et récupéré leurs facultés régénératrices. Ces cipayes entre les deux rives de la Vallée de la Mort remuèrent gravats, poussière et neige souillée, dérangeant leurs coreligionnaires au-dessus d’eux, rejetant les bientôt définitifs cadavres de leurs frères d’armes plus bas encore. Ils s’extirpèrent de leur tombeau nival en titubant, tels ces papillons encore maladroits devenus imagos émergeant de leur cocon, leurs ailes non encore sèches. Longtemps, ces rescapés errèrent dans la contrée, dans les vaux désolés de la Mort, antre de la Fin lente et progressive tout autant que cruelle. C’étaient désormais des zombies désemparés, grisâtres,
dont les chairs haillonneuses se confondaient avec des lambeaux d’uniformes, infortunés morts-vivants évocateurs de ces squelettes et transis sculptés du Bas Moyen Âge. La laxité des chairs flaccides de ces clones livrés à eux-mêmes les avait rendues confusionnelles, fongibles, indiscernables désormais des textiles pourris avec lesquels elles se mélangeaient, gangrenées et mouillées à la fois. En ce terrifiant amalgame, en leurs vaisseaux et leurs artères, le sang s’était congelé, comme pris dans un embâcle physiologique.
Il arrivait qu’ils hantassent les villages du Mustang, certains atteignant même Katmandou. Il n’était point rare que les habitants perçussent leurs plaintes, à la semblance de quelques spectres réclamant l’âme dont leur « créateur » leur avait refusé l’octroi. Ils allaient jusqu’à gratter aux portes grossières des masures, suppliant en vain qu’on leur ouvrît. Afin de conjurer le sort, les villageois avaient façonné dans la glaise voire dans la bouse de yack des masques prophylactiques difformes et grimaçants, au rictus édenté et farouche,
représentations des démons protecteurs, qu’ils fichaient sur des piquets eux-mêmes plantés à l’entrée de chaque hutte. Ces effigies de mise en garde n’étaient pas sans rappeler les figures d’un rite chinois primitif et animiste appelé Nuo,
notamment le grand démon Yao et le géomancien suprême Di-Pan. Leur puanteur immonde constituait à elle seule un répulsif imparable En peu de mois, tous les errants spectraux finirent par s’épreindre en un jus répugnant de liquéfaction putride d’un vert osirien ; car tel était le destin ordinaire programmé de ces clones à l’espérance de vie limitée, ainsi qu’un Saturnin de Beauséjour en ferait l’amère expérience, confronté qu’il serait à un duplicata de Napoléon le Grand parvenu au terme de son existence synthétique.[2]
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A suivre...
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