Amazonie, 1952.
Le village amérindien perdu, s'il ne gardait plus une seule trace visible de la tragédie, avait cependant conservé dans les souvenirs de ses survivants la marque de la funeste équipée du général Lourenço Gonzalves.
Le vieux cacique Hurumbubu mastiquait inlassablement son chiclé tandis que ses labrets, baveux, s'entrechoquaient de clics laissant filer de sa bouche à-demi édentée à l'haleine pourrie des phrases d'un dialecte bâtard, qui mêlait à la langue indigène dérivée de l'achuar des emprunts au portugais mâtinés d'interjections en mauvais espagnol. Il me raconta ce que son clan avait vécu et subi.
Gonzalves était de la race des illuminés. Cinq années auparavant, il s'était lancé dans une folle expédition de reconquête du Brésil par le Portugal, via l'Amazonie, au nom de son idole Salazar et de l'Estado Novo. Avec une centaine de soldats perdus, l'aliéné, nouveau baron Ungern à la sauce sud-américaine, avait brandi les droits historiques du Portugal sur la contrée, inscrits dans le traité de Tordesillas de 1494, ce fameux testament d'Adam dont le roi de France, François 1er, contestait la légitimité, en cela qu'il l'excluait du partage du monde. Gonzalves, prosélyte hors pair, avait converti à sa cause fumeuse un ramassis de canailles interlopes venues des quatre coins du monde et de tous les mélanges sanguins imaginables. Combien de droits communs, d'échappés de Sing-Sing ou d'Alcatraz, de nèg' marrons, de bagnards en rupture de chaîne, qu'ils soient de Cayenne, de Poulo-Condor ou de la route de Mandalay, de déserteurs de la Légion, de zambos, mulâtres, quarterons et quinterons avaient approuvé son fol discours qui leur promettait l'or, le pouvoir et les femmes à profusion? L'expédition militaire avait rapidement tourné au cauchemar, à ce cœur des ténèbres si bien dépeint par Joseph Conrad, mais dans une version pour américanistes. La colonne infernale de Gonzalves, partie de Manaus et composée d'une centaine de soudards, avait ratissé la labyrinthique jungle, la mettant en coupe réglée, commettant d'horribles exactions sur les peuplades, égalant les conquistadores les plus abjects et la troupe de Voulet et Chanoine dans l'Afrique du scramble de la fin du XIXe siècle. Leur sauvagerie dépassa tout ce que les fantasmes occidentaux pouvaient imaginer, surpassant largement toutes les légendes noires attribuées par des conquérants européens profondément racistes aux tribus indiennes quasi mythiques comme les Jivaros, les Chavantes, les Munduruku, les Piaroas, les Maquiritares, les Kayapo et autres Tupinambis! La petite armée avait fini par se perdre à jamais dans les méandres poisseux de l'enfer vert originel, par littéralement crever dans cette jungle ou sylve première que d'aucuns ont raison de presque prononcer « jongle », tant on y joue avec sa vie!
En fait, Lourenço Gonzalves n'était pas plus général que George Armstrong Custer lui-même. Certes, il avait appartenu à l'armée portugaise, mais on l'en avait chassé « pour mauvaise conduite », du moins était-ce le mobile officiel. L'aventurier fou arborait d'ailleurs la chevelure et les moustaches de son modèle. De plus, son uniforme était constitué d'une invraisemblable et baroque vareuse de peaux d'anacondas et de jaguars cousues ensemble, renforcée d'écailles de tatous pour se protéger des fléchettes empoisonnées et de ces diables de mosquitos qui vous harcelaient nuit et jour. Il avait également fabriqué une sorte de casque, de heaume à visière à partir d'un crâne de capibara! Une femme non moins singulière l'accompagnait, comme celle d'Hernan Cortez. Les traits de la belle concubine étaient purement indiens, avec ses fameuses pommettes saillantes, ses cheveux longs, lisses et noirs, de cette couleur de jais qui rend si désirables les impudiques odalisques de ces contrées, plus provocantes que la Vénus anadyomène avec leurs formes plantureuses et exubérantes proches de celles des statuettes aurignaciennes et gravettiennes, qui s'offrent au visiteur étranger, sur l'invitation explicite du chamane et du cacique du village, à l'étui pénien surdimensionné emblématique de leur charge et de leur pouvoir fécondateur, qui prennent des poses obscènes vous intimant l'ordre de pratiquer un type ancestral et bestial d'accouplement. Si l'hôte refuse de les honorer ainsi, il est chassé, voire massacré! Notre compagne de Gonzalves, qu'il appelait simplement Maria de Lourdes, avait pour elle deux particularités : des yeux bleus qui détonnaient avec son type ethnique et une connaissance profonde, non seulement des idiomes amazoniens les plus rares, mais aussi de la faune et de la végétation, y compris des espèces totalement inconnues des Occidentaux, même des naturalistes les plus chevronnés. Sa coiffe s'ornait d'une tête momifiée d'un animal inclassable, sorte de mélange de tamanoir et de paresseux, xénarthre non répertorié dans les traités taxonomiques de mammalogie.
Nous en étions arrivés, à ce stade du récit d'Hurumbubu, à l'objet exact de ma propre expédition : non pas la quête du pouvoir, de l'or d'Eldorado ou de Cibola, que je laissais aux garimpeiros, prospecteurs d'or qui luttaient pied à pied contre les seringueiros, récolteurs de caoutchouc, les éleveurs et autres illuminés, mais celle d'une faune inédite, objet d'une science en train de se créer en ce milieu de siècle : la cryptozoologie, « science des animaux cachés ».
Car je suis un scientifique français et mon maître s'appelle Adelphe-Fiacre Piton de Tournefort, le dernier des naturalistes du siècle des lumières égaré en plein monde moderne!
Ce sont ses ouvrages qui m'ont attiré dans cette contrée, notamment ceux consacrés à deux créatures fabuleuses : le serpent géant Sucuriju et l'anthropoïde américain.
Tandis qu'Hurumbubu poursuivait son laïus en crachant sa chique infâme et pestilentielle, je me remémorais les ouvrages de mon professeur bien aimé, qui avaient fait scandale avant guerre. Dans « Aventures au Rio Negro », publié en 1934, il avait écrit ceci :
« (...) Tandis que le soir approchait, nous établîmes notre campement à proximité de la clairière du lieu dit « Mata Hombres », « Le tueur d'hommes » (sous-entendu les Blancs), où, disait-on, serait parvenu le colonel Fawcett après une fuite éperdue, poursuivi par les Indiens Mayakuli, qui lui avaient tendu un guet-apens. Les Mayakuli sont réputés ne pas faire de quartier. Vaguement apparentés aux Maquiritares, ces Indiens, d'après d'invérifiables légendes, descendraient d'un groupe fugitif issu des derniers Tainos des Caraïbes. Une tradition orale recueillie par Fawcett et corroborée par mon ami, le grand anthropologue Franz Boas, raconte que, pour échapper à la fureur sanguinaire des conquistadores de Cristobal Colomb, les Tainos se seraient embarqués clandestinement avec leurs bijoux, parures et masques d'or sur d'énormes radeaux de balsa. Ils auraient dérivé jusqu'au continent sud-américain et s'y seraient enfoncés, via les cours d'eau que seraient parvenues à remonter leurs jangadas de fortune : Amazone, Orénoque et Rio Negro. Les rescapés auraient ainsi fondé dans les profondeurs inexplorées de l'Amazonie une cité sacrée, mi-végétale, mi-lithique, confiant la garde de leur immémorial trésor à un serpent géant sacré baptisé par les Indiens Sucuriju et à des hordes de singes sans queue anthropophages. Il est vrai que les Mayakuli ont fort mauvaise réputation : ils sont craints des Jivaros eux-mêmes! Ils sont réputés naturaliser leurs victimes dans le cadre de la célébration de rituels cannibales d'une extrême complexité, c'est-à-dire qu'ils conservent, après en avoir absorbé les chairs et les viscères et extrait le squelette à l'exception du crâne, l'enveloppe de peau des vaincus qu'ils tannent, gonflent et agrandissent jusqu'à ce qu'elle prenne l'aspect d'une innommable baudruche parcheminée qui parvient à conserver les traits et la personnalité de chaque défunt. Autrement dit, leurs pratiques sont l'inverse de celle des Achuars ou Jivaros! (...)»
Je savais pertinemment que le territoire Mayakuli n'était plus qu'à trois journée de pirogue du village d'Hurumbubu et j'espérais que le cacique m'aiderait à le traverser sans encombre en me prêtant un guide et deux chasseurs sans peur comprenant le dialecte ennemi. Hurumbubu et les Mayakuli, que certains disaient commandés par un mystérieux Indien blanc, avaient conclu une trêve depuis une huitaine de lunes, mais toute trêve étant précaire, il suffisait de quelques aléas cynégétiques ou pluviométriques, déclenchant une pénurie de ressources et une compétition pour accéder à ce qui restait, voire de l'intrusion de prospecteurs hostiles pour tout remettre en question. Hurumbubu pensait que les Mayakuli étaient les seuls à avoir pu débarrasser la contrée de la colonne sanglante de Gonzalves. Cependant, mes pensées continuaient d'errer dans la remémoration des pages obsédantes composées par mon maître d'une plume fascinée :
« (...) De cette mémorable expédition, je n'ai ramené aucune dépouille de Sucuriju, n’ayant évidemment nullement découvert la cité mythique des Tainos mais j'en ai toutefois rapporté deux témoignages étranges quoique irréfutables : une mue de serpent et la photographie d'un singe d'une espèce inconnue. Permettez-moi de vous conter les circonstances de la découverte de chacun de ces spécimens zoologiques anormaux. (...)
C'est Pablo Gomez, un de nos porteurs, qui a mis la main fortuitement sur la peau d'anaconda géant, alors qu'il amarrait une des pirogues sur la rive droite du Rio Negro, en amont de rapides qui nous imposaient de poursuivre notre route à pied sur six kilomètres environ. Il aperçut une espèce de déchet organique qui n'était pas de nature végétale. Il ne s'agissait point d'une de ces quelconques charognes qui était remontée, gonflée de gaz, ou de restes non dévorés par les piranhas ou par les crocodiles : ce débris, bien plus léger, était une sorte d'enveloppe épidermique écailleuse qui surnageait sur les eaux noires de l'affluent de l'Amazone auxquelles il doit son nom. Il risquait d'être emporté par le courant. Aussi, Gomez, ce singulier métis à la tête absolument dépourvue de poils et de cheveux, mû par la curiosité et pensant que l'objet pouvait m'intéresser, se saisit promptement d'une gaffe et parvint à ramener cette peau morte sur le rivage. La chose empestait singulièrement. Un premier examen me fit conclure à une mue d'anaconda, mais sa taille s'avéra exceptionnelle, aussi décidai-je de la mesurer scientifiquement et de conserver le spécimen pour le ramener en France. Pour la conservation, nous ne disposions que de bidons de sel, aussi, fallait-il faire vite, car le déchet était déjà bien corrompu. Les mensurations me surprirent : la mue atteignait les onze mètres, chose a priori impossible. Elle avait appartenu à un individu exceptionnel, anormal, à moins qu'il ne s'agisse d'une nouvelle espèce. Maoani, mon guide Kayapo, me dit : « Sucuriju ». Il me conta la légende du serpent gigantesque gardien du saint des saints de la cité Taino, localisé dans un lac souterrain. (...).
Deux jours après ce premier incident, nous fîmes une nouvelle rencontre impromptue, cette-fois avec une créature bien vivante. Nous pouvions reprendre la descente du Rio Negro, ayant passé la zone des rapides. Maoani, en bon capita amérindien, supervisait le chargement des embarcations lorsqu'un des piroguiers, Raoyumba, qui s'était un peu éloigné de ses collègues, revint en criant que deux individus «presque humains » avaient voulu l'attaquer. Il me montra où il les avait aperçus :
« Aquì! Aquì! » Dit-il, tremblant de peur, me désignant la direction qu'il avait prise avant de rencontrer les « êtres ». Sur mes gardes, je saisis ma carabine et m'avançai avec deux hommes munis de machettes. Nous tombâmes nez à nez sur un couple de créatures simiesques, dressées, au regard troublant, au visage quasi humain et couvert de moustaches tombantes. Leur pelage était ocre jaune. Ils étaient, ô singularité frappante, dépourvus de queue. A ce que j'en pus juger, il s'agissait d'un mâle et d'une femelle et ces singes ressemblaient à des atèles aux mensurations proches des nôtres. Le mâle se fit menaçant : il grogna, prit une posture d'intimidation et commença à exécuter des moulinets avec ses bras. Puis, il déféqua et se saisit de ses fèces pour nous les projeter en pleine figure. Mon réflexe fut prompt : j'abattis le monstre d'une balle de carabine en pleine poitrine. La femelle, quant à elle, s'enfuit dans les arbres en poussant de petits cris plaintifs qui sonnaient un peu comme le mot italien « più! ». La dépouille fut récupérée et examinée : elle était proprement exceptionnelle! Je la plaçai assise sur un bidon, la maintins en équilibre avec un bâton, pour la mesurer et la photographier. L'être était un atèle géant, sans queue, mesurant un mètre cinquante-deux. Il s'agissait d'une nouvelle espèce, théoriquement impossible puisque le Nouveau Monde ne comporte pas de races de singes apparentées aux anthropoïdes d'Afrique et d'Eurasie! Je baptisai le monstre « Améranthropoïde »et décidai, une fois de plus, de ramener la dépouille à Paris. Hélas, le voyage fut fort long, et le cadavre se décomposa entièrement. Seuls demeurèrent son crâne, converti en prosaïque boîte à sel, perdue depuis par Pablo Gomez auquel je l'avais passée, et le cliché, que je confiai à mon retour au Musée d'ethnographie du Trocadéro. (...) »
Après cet édifiant rappel livresque, Hurumbubu m'invita à partager avec le chamane Haopi la dégustation cérémonielle du peyotl, décoction mycologique hallucinogène offerte, insigne privilège s'il en fut, à l'invité étranger qui s'était montré favorable à son peuple! Ne pouvant refuser une telle faveur, même si je n'ignorais pas les conséquences sur un organisme non accoutumé de l'absorption de cette drogue, j'acceptai avec un enthousiasme naïf quelque peu rousseauiste l'honneur que me faisait le cacique.
*************
Quatre jours s'étaient écoulés. J'avais obtenu d'Hurumbubu presque tout ce que je voulais : un guide expérimenté et bien armé parlant Mayakuli, une nouvelle pirogue, des cartouches et des vivres. Mon guide s'appelait Dununkulu. C'était un des meilleurs chasseurs de la tribu et un grand connaisseur de la navigation dans les dédales des méandres fluviatiles, dans ces galeries mi-aquatiques, mi-végétales où risquait de s'égarer le sens de l'orientation du plus expérimenté des pisteurs à la Baden-Powell, pour ne pas dire son sens commun et sa santé mentale.
Outre sa coiffure en bol, qui rappelait cette coupe de cheveux tellement en vogue du temps du roi d'Angleterre Henry V, le vainqueur d'Azincourt, et de son frère le duc de Bedford, Dununkulu ressemblait à une synthèse fantasmée des Indiens d'Amazonie à cause de ses parures et attributs d'un style proximal de ceux des Kayapo, Yanomami et autres Bororo. Sa poitrine s'ornait d'un pectoral constitué de griffes de tatous, de noix de Macadamia et de fourrure de Ouistiti. Ses cheveux étaient couronnés d'une espèce de diadème en arc-de-cercle, à la forme générale proche de certaines coiffes féminines de l'ancienne Russie, composé de plumes d'aras bleues, jaunes et rouges. Outre les peintures et tatouages noirs et écarlates qui recouvraient sa peau cuivrée, les signes d'appartenance de Dununkulu à un clan sacré et immémorial se complétaient de multiples bracelets de poignets et de chevilles et d'un cache-sexe d'étoffe rouge surmonté d'une rémige de Toucan du plus heureux effet. Quant aux déformations corporelles de l'intéressé, elles se limitaient à la lèvre inférieure percée d'un bâtonnet, seuls les chefs ayant droit aux labrets. Dununkulu ne parlait pas que sa langue et celle des Mayakuli : il comprenait le langage des singes et des oiseaux et savait reproduire leurs cris, qu'il s'agisse des perroquets, des toucans, des atèles, saïmiris, ouakaris et autres singes hurleurs roux. Pour ce dernier cas, la voix de gorge que prenait mon guide pour « dialoguer » avec l'animal était des plus impressionnantes, Dununkulu faisant preuve dans la reproduction des nuances émotionnelles multiples du langage des Hurleurs d'une virtuosité rare et non conceptualisable par un Occidental prosaïque. C'était comme s'il était pourvu d'une sorte de goitre à sacs vocaux multiples!
Nous naviguions paisiblement sur un bras calme du Rio Negro et, contrairement à ce que je craignais, les Mayakuli avaient respecté la trêve, ne se montrant qu'à distance. J'en conclus que les parures du guide servaient autant de signes d'identification que de signaux d'avertissement, de mise en garde, comme chez ces grenouilles tropicales venimeuses aux vives couleurs. De plus, l'habileté de chasseur à sarbacane de Dununkulu nous pourvut continuellement en bon gibier : oiseaux, rongeurs et petits singes, que je répugnais au départ à consommer. Nous ne manquâmes ni de protéines (Dununkulu était aussi bon pêcheur que chasseur), ni de végétaux, baies et fruits non-toxiques! Je réalisais que l'Amazonie, loin d'être cet enfer vert qui vous engloutissait, comme autrefois Fawcett, constituait au contraire un paradis perdu menacé par les fronts pionniers des grands éleveurs latifundiaires du Mato Grosso, aux haciendas entourées d'immenses terrains peuplés d'indénombrables troupeaux de bovidés, lieux d'élevage extensif, mais aussi mis en péril par les prospecteurs d'or et les récolteurs de caoutchouc, pour une bête exploitation économique qui passait à côté des merveilles de ces contrées. Non plus un enfer, pensais-je, mais le réservoir d'une vie infinie mais fragile voulue par un Être Suprême, d'une richesse telle qu'une existence entière de naturaliste, dût-elle durer cent ans, ne suffirait pas pour tout en découvrir et décrire. Qui sait si de multiples espèces de plantes et d'animaux n'allaient pas disparaître à jamais sous la pression de nouveaux conquistadores mercantiles, avant même d'avoir pu être répertoriées! Le danger avait un nom : le défrichement ou déforestation. A ce titre, des hommes comme Dununkulu étaient aussi irremplaçables, car détenteurs d'un savoir encyclopédique quoique oral, sur ces plantes médicinales amazoniennes que nous méprisions à tort comme des remèdes de « sauvages » rebouteux et sorciers!
Je songeais que j'avais par trop longtemps accrédité une vision caricaturale et simpliste de l'Amazonie, constituée artificiellement de pièces de puzzle représentant autant d'apriorismes, de signifiants exotiques essentiels d'un schématisme médiocre, puisés dans une imagerie littéraire et picturale véhiculée par un regard occidental biaisé, ne concevant l'altérité qu'en termes de lieux communs, de passages obligés et de fantasmes personnels appuyés sur notre prétendue supériorité. On aurait pu en dire autant de l'Afrique et de l'Asie, à cause notamment de ces bandes dessinées dont avait abusé mon adolescence, de cette jungle picturale de synthèse peuplée de tribus hostiles assoiffées de sang, parfois cannibales, souvent emplumées, avec leur sagaie et leur bouclier coloré, sans omettre les obstacles naturels (flore, faune, topographie, hydrographie) aussi périlleux les uns que les autres! J'aurais mieux fait de jeter à la poubelle ces « Jim la jungle », « Tim Tyler's luck», « Tarzan », « Ramenez-les vivants », « Tif et Tondu au Congo belge » et autres « Fantôme du Bengale »! A propos de « Tif et Tondu », cette bande -au demeurant médiocre tant son auteur, Fernand Dineur, dessinait comme un pied- était axée sur une quête proche de la cryptozoologie : un certain baron Brouf chargeait les héros d'une mission de capture d'animaux fabuleux congolais pour, je crois, le zoo d'Anvers : antilope blanche, lézard blanc, éléphant nain blanc etc. Outre cette fascination leucoderme ambiguë, ce récit illustré reprenait la tradition des zoos princiers et des cabinets de merveilles de la Renaissance. On pourra m'objecter une certaine animadversion a posteriori à l'encontre de mes lectures manichéennes de jeunesse!
La pirogue avançait dans une espèce de chenal qui s'encombrait de feuillages pourrissants et de vase verte, lorsque Dununkulu s'écria :
« Malepeke! Malepeke! Ruqu! Ruqu! », ce qui signifiait : « Alerte, pirogue inconnue en aval! »
J'aperçus une pirogue abandonnée près du rivage et je demandai à mon guide de nous rapprocher prudemment de celle-ci. Je remarquai qu'elle était occupée par un homme, de dos, dont on apercevait l'espèce de grand chapeau de paille, mais le péquenot ne bougeait pas car il ne nous entendait pas. Il ne le risquait d'ailleurs plus : réduit à l'état de squelette, l'homme était mort depuis longtemps. Dununkulu me déclara :
« Murulunipewe!
- Les Eciton! », M’écriai-je.
Il s'agissait d'une redoutable espèce de fourmis, qui, se déplaçant en colonnes dévastatrices de millions d'individus, dévoraient tout sur leur passage! L'homme avait dû être mangé vif, parfaitement nettoyé, à l'exception des parties non digérables : ses os, ses sandales, trop coriaces, et son chapeau, trop sec! La dépouille pouvait être récente, remonter autant à deux jours qu'à cinq ans. Aurait-il pu s'agir d'un infortuné membre de la colonne sanglante de Lourenço Gonzalves? Ce qu'il restait de lui ne plaidait pas en faveur de restes anciens : le climat n'avait pas eu le temps de décomposer la pirogue et de disperser les os. En tout cas, pas de risque que cela soit un de ces conquistadores. A ce sujet me revint en mémoire la recherche des amazones par des émules d'Orellana et d'Aguirre, morion ou cabasset sur la tête, arquebuse à mèche ou à rouet sur l'épaule. C'était du temps où le Brésil était tombé dans l'escarcelle de Philippe II d'Espagne, à cause de la croisade insensée du roi Dom Sébastien du Portugal contre les maures, dont la mort tragique en 1578 avait été suivie par l'extinction de la dynastie régnante, faisant des Habsbourg les héritiers du trône lusitanien! On rapportait que des colonnes hispano-portugaises avaient été envoyées en Amazonie en 1580, afin d'assurer la prise de possession du territoire par Sa Majesté très catholique! Les fiers soldats espagnols, commandés par un capitan portugais, y avaient tous péri, rongés par l'humidité des lieux. On raconte que leurs cuirasses rouillaient sur eux et s'y amalgamaient, les transformant en arthropodes humains hideux, émules des hommes-scorpions sumériens, nouveaux animaux à entailles chers à la zoologie du Stagirite! Ne pouvant plus ôter leurs armures, ils mouraient étouffés et écrasés par le métal corrodé ou, plus atroce encore, demandaient à leurs camarades de les amputer de leurs quatre membres avant de les achever, seule façon de les délivrer de cette innommable gangue! Fusionnant avec leurs cuirasses, ces conquistadores finissaient par se décomposer vivants à l'intérieur de ces carapaces, par voir leurs chairs fondre en un jus putrescent indicible. A la fin ne demeuraient que des sortes d'exuvies de métal autour de squelettes démantibulés!
Ce fut alors qu'un cri animal, dont l'émetteur se cachait à notre vue, doux, plaintif, interrompit ma méditation et me fit sursauter. Il retentit à deux reprises :
« Pi’Ou! Pi’Ou! »
Le cri de l'Améranthropoïde! Il ne ressemblait pas tout à fait au « più » italien, comme mon maître respecté l'avait écrit, mais à un mélange de « Pie », comme notre pape Pie XII, suivi du « hou! » de la chouette effraie! Le chant, si c'en était bien un, se rapprochait de celui du gibbon ou du siamang, de l'hylobate d'Insulinde! Dununkulu me désigna la provenance du cri : « Aquì! », en aval de notre chenal. Reprenant sa pagaie, il se décida à rejoindre l'endroit où se camouflait le supposé singe. Je me suis contenté de lui répondre : « Adelante! ». La pirogue s'enfonça dans le chenal vaseux et un brouillard incongru nous enveloppa tandis que les plaintes distantes du supposé Atèle atteint d'acromégalie se poursuivaient, lancinantes. J'eus peur qu'il s'agisse d'une ruse des Mayakuli pour nous attirer dans leurs rets et nous massacrer! Je ne saurais dire combien de mètres nous parcourûmes dans cette purée de poix suintante. Toujours est-il que ce fut un miracle si notre embarcation ne heurta point la rive pour s'échouer dans ce lieu dangereux. Après un temps indéterminé que je ne pus mesurer, mon propre cadran de montre demeurant indéchiffrable dans cette brume anormale, je commençais enfin à distinguer quelque chose. Notre pirogue monoxyle s'engagea, du moins le crus-je, sous une singulière voûte en plein cintre, entrée d'un tunnel strictement végétal, tressé de lianes et de verdure, parois botaniques où se mélangeaient espèces contemporaines et disparues, fossiles « vivants » du Paléozoïque : Boophyton, Protolepidodendron, prêles, cycas, lycopodiales, aspidistras, araucarias, hibiscus, fougères etc.! Au végétal se mêla progressivement le minéral, notre galerie devenant un amalgame parfait de matériaux botaniques et lithiques! Au fur et à mesure que nous avancions, une dénivellation à peine perceptible entraîna notre embarcation au tréfonds d'un réseau de chenaux aménagés par un peuple inconnu ayant acquis la science de la canalisation des eaux douces. A ce qu'il était convenu d'appeler notre collecteur se connectaient régulièrement, environ tous les cent mètres, de nouveaux chenaux, des galeries secondaires, plus étroites, faites aussi de cette architecture curieuse, inédite, de pierre et de plantes, disons phyto-lithique. Avions-nous abouti à une cloaca maxima amérindienne? Une civilisation inconnue, un peuple ancien faisant preuve d'un véritable génie de bâtisseur, avait crée cet « égout » aux matériaux stupéfiants quoique d'une solidité inattendue! Cinabre, amazonite, grès, albâtre, gypse, quartz rose, calcite se mélangeaient avec les plantes précitées, formant un béton, un opus caementicium, d'un type nouveau. Dans l'eau nageaient d'archaïques poissons sans mâchoire, agnathes cuirassés d'un caparaçon argenté. Le lieu n'avait même pas besoin d'être éclairé de torches! Notre tunnel constamment sinueux, qui ondulait comme un serpent -parcours symbolique ou initiatique du Sucuriju?-, tels ces antiques labyrinthes annulaires médiévaux, s'ornait de niches espacées régulièrement, niches dans lesquelles brillaient des cristaux géants luminescents, encore plus merveilleux que ceux du Minas Gerais, pourtant réputés dans le monde entier pour leur beauté! Ces lumignons de quartzite jaune, rose ou orange, ces géodes ouvertes d'améthyste, de calcite ou d'albâtre d'un blanc laiteux diffusaient une lumière tamisée et douce. Quant aux parois, elles paraissaient désormais sculptées de motifs en pierre tendre, de glyphes indéchiffrables eux-aussi fluorescents. Cela me rappela ce plasticien fou qui, dans les années vingt, voulu créer des statues monumentales dans le talc et la craie, modelées sur une tradition antique moribonde, œuvres conceptuelles d'un art de l'éphémère vouées à l'effritement et à la dispersion aux quatre vents! Ces répliques néo-classiques de Praxitèle, Polyclète et Myron, ces Apollon du Belvédère et de Didymes, cette Vénus de Cnide, s'étaient lentement décomposés, particule de talc par particule de talc, au grand dam de notre moderne Phidias qui mourut dans la camisole de force!
La pirogue parvint enfin dans une salle dodécagonale, d'une fascinante symétrie rayonnée, digne d'un échinoderme ou d'une méduse, où aboutissaient autant de canaux à la semblance du nôtre! Chose encore plus étonnante : la voûte de la salle était une coupole, comme celles du Panthéon d'Hadrien ou du Capitole de Washington, coupole faite de cristal de roche, d'aigues-marines, d'azurite et de feldspath! Des grains phosphorescents de quartz diapraient la voûte et maintenaient la lumière en ces lieux.
Chaque voie se terminait par un quai et une borne pour amarrer les barques. Au centre, un escalier descendant s'amorçait. Il était encadré de statues d'obsidienne, d'une hauteur de deux mètres chacune, à l'effigie de singes anthropoïdes d'une autre faune que la nôtre! Adelphe-Fiacre, en bon zoologiste, m'avait parlé de ces simiens légendaires propres à l'Afrique et à l'Asie, que nous retrouvions là, honorés comme des divinités, hors de leur contexte géographique et biotique! Ces anthropomorphes de Linné et de son disciple Hoppius avaient reçu des noms indigènes plus appropriés. Au nombre d'une douzaine, ces ronde-bosse animalières étaient traitées dans un style d'art mi-nègre, mi-précolombien, proche parfois des Olmèques et de leurs célèbres têtes colossales que certains affabulateurs croyaient dues à une ethnie négroïde égarée en Amérique centrale! J'identifiais parmi eux Kakundakari et Kikomba, issus de l'Afrique Noire, le Nguoi-Rung vietnamien, l’Orang-Pendek javanais et le Migou népalais, créatures de fables dont l'existence n'était nullement prouvée. Autrement dit, un culte était rendu en ces lieux en l'honneur des « cousins » de l'Améranthropoïde. Chaque animal tendait des deux mains une sorte de coupe. Dununkulu remarqua un petit tas d'offrandes aux pieds de la statue de Kakundakari. Il se saisit d'un objet curieux, une espèce de galet d'argile sommairement façonné représentant un visage dans sa plus simple expression : deux trous pour les yeux, une encoche pour la bouche. Cette ébauche formait-elle un portrait de la « divinité » modelé par notre Atèle en personne?
A l'instant retentit une nouvelle fois, des profondeurs de l'escalier central, la plainte caractéristique de notre animal caché inconnu : « Pi’Ou! Pi’Ou! ». Ce chant, ce thrène douloureux, prenait une tournure obsédante! Dununkulu me dit :
« Raka malimpo! », ce qui voulait dire : « On y va! ». La partie la plus hallucinante de notre exploration commença par la descente de cet escalier, taillé dans l'obsidienne et dans le jade, à la voûte polie ornée de niches et d'alvéoles pentagonales où s' inséraient d'hideux trophées : des têtes de singes et d'hommes momifiées, traitées à la façon des Munduruku, des Jivaros et des Mayakuli,
tsantsas d'un autre genre, puisque préparées de manière à enfler considérablement les chefs des vaincus! Cela imitait les voûtes d'escaliers à caissons de la Renaissance, revues et corrigées par la pensée sauvage, mais également l'antique portique gaulois de Roquepertuse avec ses trous où les Celtes belliqueux de Diodore, Strabon, Polybe et Jules César logeaient des crânes humains. Ces saloperies de têtes, terreuses, parcheminées et boursouflées, prêtes à éclater comme des marrons trop cuits, semblaient ricaner de nous, tant leur rictus était grimaçant! Elles exhalaient une puanteur douceâtre et médicamenteuse de produits de momification méphitiques qui envahirent tout l'escalier, fragrance à vomir s'il en fut! Leurs orbites étaient soit cousues, soit operculées par de la poix ou des noix de Macadamia! De leur bouche sortaient des cordes semblables à des spaghettis. Même au Musée de l'Homme, je n'avais jamais vu une telle théorie d'objets macabres! Et l'antienne de l'Améranthrope accompagnait notre descente, jactance de plus en plus envoûtante et agaçante! Curieusement, nous n'avions toujours pas besoin de torches puisque le matériau de construction délivrait son propre éclairage fantasmagorique.
Enfin, après une soixantaine de marches, parfois usées à la limite du casse-figure, nous parvînmes en bas. Une fois n'est pas coutume, il s'agissait d'une nouvelle salle à structure rayonnée, un peu comme la place de l'Etoile, mais en hendécagone : il y avait donc une galerie de moins que tout-à-l'heure. Je compris que les aîtres tournaient au dédale, mais très bien ordonné! Nous avions onze possibilités devant nous, en plus d'un nouvel escalier central descendant. Chaque entrée de galerie était facile à différencier de sa voisine : primo, elle n'était pas constituée du même matériau, de la même roche. Secundo, elle était surmontée d'un portail sculpté avec chaque fois, un mascaron polychrome différent à l'effigie d'un animal totem typique de l'Amazonie : piranha, paresseux, papillon Morpho, jaguar, colibri, ouistiti, toucan, ara, tamanoir, caïman etc. Leurs yeux étaient des incrustations de jadéite du plus bel effet. Les ailes du lépidoptère se constellaient d'écailles de lapis-lazuli. Le sol, dallé de basalte, était parfaitement nu. Comme j'hésitais sur notre itinéraire, Dununkulu opta pour la poursuite de la descente. Notre nouvel escalier ne comptait que trente marches, soit la moitié moins que le premier, mais des fresques ocrées, assez grossières, comme si les pigments avaient été projetés sur les parois par crachotements -technique picturale primordiale- y figuraient : elles montraient d'affreux sacrifices humains, offrandes à un serpent géant qui n'était pas sans rappeler l'hypothèse de mon maître. Étions-nous sur la bonne piste?
Il nous fallut rapidement déchanter : en bas s'ouvrait une salle étoilée supplémentaire, plus petite, mais tout de même décagonale! Elle était jonchée de débris organiques, d'ossements de singes et d'êtres humains, parfois avec des restes momifiés de fourrure et de chair, mais aussi de coprolithes! Nous essayâmes bien d'en parcourir chaque tunnel : creusés dans une sorte de latérite rougeâtre, chacun s'avéra éboulé, impraticable. Restait le sempiternel escalier descendant central. Stupeur : il était constitué de nacre et structuré en colimaçon! Toutes les huit marches, nous franchîmes une espèce de sas, toujours nacré : chacun formait autant de chambres descendantes. Or, au fur et à mesure de notre descente, je constatais non seulement une réduction du nombre de degrés, mais aussi un rétrécissement graduel des chambres. Notre progression devint pénible : nous dûmes nous courber puis avancer à genoux. Je saisis alors dans quel piège nous nous étions engouffrés :
« Dununkulu! Nous devons rebrousser chemin : cet escalier est un piège subtil et imparable! Structuré comme la coquille d'un nautile, il est fait de chambres qui se réduisent progressivement jusqu'à l'écrasement des malheureux qui l'auront emprunté! »
L'Améranthropoïde choisit le moment pour nous narguer : d'en haut retentit son « Pi’Ou! », lancé comme un défi, mais aussi comme le ricanement de satisfaction de celui qui a berné les importuns! Nous nous retrouvâmes dans la salle étoilée hendécagonale. Le chant obsédant du singe retentit, répercuté en écho dans toutes les directions. Il paraissait provenir indifféremment de chaque galerie! Tout à ma rage d'en découdre avec cette ignoble bestiole qui se fichait de nous, je m'engouffrai dans la première galerie venue, celle surmontée d'un mascaron de paresseux, sourd aux mises en garde de mon guide : « Bukumi! Bukumi! Raô! Raô! » (Attention! Piège mortel!). Je courus à en perdre haleine pour déboucher, après cent mètres sur une énième pièce circulaire, ennéade de galeries en réseau radiaire! L'endroit comportait des bas-reliefs témoignant d'une richesse figurative et d'un savoir paléontologique insoupçonnés de la part de ces soi-disant Taïnos ou Mayakuli : les représentations zoomorphes de cette salle, exclusivement opaline, reproduisaient une foultitude de créatures paléozoïques, toutes aquatiques, hymne à la Vie des premiers temps pluricellulaires, certains de ces animaux n'ayant pas encore été découverts ou décrits! J'eus grand tort de ne pas m'attarder davantage à l'examen désintéressé de ces sculptures. J'aurais réalisé que nous nous trouvions dans un type inédit de cabinet d'Histoire naturelle, de conception non-occidentale, buissonnant et labyrinthique à défaut d'adopter cette linéarité caractéristique d'une conception de l'évolution marquée par l'idée de progrès ascensionnel vers l'Homme! Tout y témoignait d'une weltanschauung, certes totémique, mais d'un totémisme allié à la prescience du vrai récit, non-encore découvert, de l'Histoire du vivant! Il y avait ainsi des reproductions d'animaux à symétrie radiée, plats, dont la structure rappelait des édredons piqués. Puis venaient des spécimens à parties dures, à coquilles : je ne pus guère identifier que le Trilobite. La plupart des plans d'organisation de ces animaux, incroyables, échappaient à mon entendement : monstres aux gros yeux, à la bouche en forme de tranche d'ananas, à deux appendices préhensiles ressemblant à des abdomens de crevettes sans tête, le corps lobé, se mouvant grâce à des nageoires comme celles de la seiche, anémones de mer d'un genre inédit, hybrides chimériques de crustacés et de vers, limaces cuirassées de plaques et de piquants... Le summum était représenté par un arthropode nageur à cinq yeux, mais sans pattes, dont la bouche était formée d'un tuyau d'aspirateur terminé par une pince de plante carnivore! En outre, parmi ces anaglyphes marins, les graptolites côtoyaient les anatifes et autres astéries et holothuries.
Mais l'anthropoïde maudit ne m'oubliait pas, m'appelant à le poursuivre! Je courus donc à sa rencontre, enfilant successivement deux galeries, puis deux salles, octogonale puis heptagonale, l'une de tuf, la suivante d'améthystes et de gneiss. Les bas-reliefs de ces deux pièces représentaient des animaux plus récents, témoins de l'irruption des chordés et poissons puis de la sortie des eaux! Dununkulu avait du mal à me suivre.
J'empruntai au hasard, sur la gauche de la dernière salle étoilée, un nouvel enchevêtrement de couloirs, d'abord faits de tommettes de cristal de roche et de quartzite rose et jaune, qui passèrent graduellement à l'ambre et à la jadéite. De l'ambre jaune, translucide, du jade si transparent que je voyais ce qu'il y avait de l'autre côté. Ô, l'indicible horreur! J'avais atteint une section de ce « muséum » amérindien consacrée à la muséologie de la peur! Imaginez des alignements sans fin d'avortons, prisonniers de l'ambre tels des insectes. Cette fois, la fascination l'emporta sur la répulsion et j'examinai tout! Sur un fond sonore de plaintes entêtantes d'un singe invisible et impalpable, il y avait de quoi vous faire sombrer! A y regarder de plus près, je révisai promptement ma première interprétation des pièces de ce « musée » : non pas des avortons, mais des momies ou plutôt des témoins d'un art que j'appellerais, faute de mieux, « macro momification »! Gonflés artificiellement jusqu'à la taille d'un homme adulte, à tous les stades de développement, de la gestation humaine, du disque embryonnaire au fœtus à terme, des centaines d'embryons et de fœtus, plus d'un par jour de gestation, parfaitement alignés dans l'ambre, surdimensionnés, témoins d'un savoir ancestral dont il ne restait pas grand-chose chez les actuels Mayakuli! Certains fœtus avaient cet aspect hideux de baudruche papyracée, de montgolfière anthropomorphe de couleur ocre, que l'on retrouve chez les êtres dits triploïdes, aux chromosomes surnuméraires (groupés par trois, au lieu de l'être par paires, caryotype inédit dont la découverte demeurait encore officieuse). Certaines de ces dépouilles n'étaient que tas informes et gris, ligotés de cordages, marqués d'empreintes réticulées, de striures rappelant les peaux des meules de fromage. On n'y distinguait plus rien d'humanoïde. Ces restes fœtaux pétrifiés, enkystés, étaient autant de lithopédions inaboutis qu'un culte funéraire inconnu avait voulu honorer à l'égal des défunts adultes.
Cette nécropole en réseau voussé creusée à même cette colophane jaunâtre et transparente, céda le terrain à d'autres « collections » : de nouveaux singes, parfaitement conservés, mais issus de biotopes impossibles, d'une classe de primates qui auraient colonisé absolument tous les milieux, même les plus extrêmes. Simiens insectivores nocturnes, aux immenses yeux nyctalopes rouges, albinos arctiques et antarctiques, intra-terrestres aveugles et dépigmentés, aux yeux réduits, aux mains métamorphosées en pelles fouisseuses, singes à peau nue des déserts les plus arides, primates amphibies des abysses, à la peau phosphorescente, des photophores sur la tête, les quatre mains de quadrumanes remplacées par des nageoires, animaux des sources chaudes, des solfatares et des volcans, thermophiles, primates cuirassés à exosquelette, singes des tourbières, logeant dans la boue et la vase, sortes de gibbons volants aux vastes ailes membraneuses comme celles des chauves-souris, émules des gargouilles et du démon mésopotamien Pazuzu, résurrection du Dryopithèque, créature de la chênaie tertiaire, ancien sylvain européen... De curieux hybrides de pongidés et de reptiles représentaient le summum de cette muséographie imaginaire déviée : ces sortes de lézard écailleux à peau verte, parfaitement bipèdes et sans queue, ces impensables pithécanthropes sauriens, assurément intelligents, à la « main » réduite à quatre doigts, au cerveau volumineux et à l'inquiétante pupille fendue, provoquèrent en moi un profond malaise. S'il s'agissait -hypothèse folle- de dinosaures ayant évolué à notre place vers l'hominisation, pourquoi ne pas forger en leur honneur le néologisme de « dinosauroïdes »?
A propos de forêt, l'atmosphère de sylve poisseuse reprenait le dessus. L'hygrométrie, l'humidité augmentaient, avec la chaleur, la sueur collante, tandis que la matière constituant les galeries se métamorphosait en peaux d'anacondas! S'égara alors la raison, se perdit en moi le sens des trois dimensions. Je marchais sur les murs, puis au plafond, tête renversée : j'avais les facultés de la mouche. J'avais l'impression d'avancer à reculons, puis de me mouvoir dans une galerie invisible, aussi ténue qu'un gaz, à travers un soupçon de néant. Le ciel était terre et la terre ciel. Il n'y eut plus de gravité. Il n'y eut plus de temps. Je crus fondre, devenir mou. J'étais à la fois vieillard et bébé, squelette et embryon. Je me mis à hurler : les sons sortaient à l'envers de ma bouche, ou plutôt, la réintégraient depuis l'extérieur. Je me durcis comme la plus dure des statues, taillée dans le plus colossal diamant et en même temps, je me fis effigie de talc, trop tendre pour être pérenne. Je devins sable et porphyre à la fois. Ma pétrification était liquide et gazeuse. Je me dispersais en grains infinitésimaux! La folie me guidait, comme Napoléon chevauchant le monstre République dans une caricature de l'époque des Cent-jours. Mon cri de désespoir fut recouvert par celui de l'Améranthropoïde. Puis, quelque chose tomba sur moi de la voûte de peaux, quelque chose d'hostile.
Encore un fœtus, encore une ébauche, mais composite, cousue de divers cadavres obstétricaux, nouvelle créature de Frankenstein, momie de golem embryonnaire parsemée de cicatrices, sans bouche, au crâne de triploïde hypertrophié, encéphalocèle à la fontanelle éclatée béant sur une cervelle inachevée, aux yeux réduits à de noires pupilles, au foie énorme visible par transparence, à la peau rosâtre parcourue de millions de capillaires et de vaisseaux sanguins, au cordon ombilical tourbillonnant comme un lasso blanchâtre! L'être était quasiment spinal.
Cette indicible horreur désirait me tuer, m'absorber. Elle s'arrêta brusquement, porta sa main palmée à sa gorge, s'affaissa pour se résorber peu à peu, pour régresser, fondre tels ces frères jumeaux qui cessent leur développement et se dissolvent dans la muqueuse utérine qu'ils réintègrent, en tant que matrice originelle, qu'ά et ώ de toute chose. D'eux ne demeurait qu'une cicatrice ténue, pareille à un petit cratère, une dépression ou un aphte, trace infime de ce qui avait tenté de se constituer. La créature était morte, tuée par une fléchette de Dununkulu! Il s'en était fallu de peu que cette saloperie m'envoyât ad patres! J'avais eu chaud et je remerciai mon guide, la voix tremblante :
« Muchas gracias, Dununkulu! »
Ce ne fut pas mon sauveur qui répondit, mais ce sacré singe! Il se dévoila enfin à nos yeux médusés!
Il se tenait, parfaitement dressé, sous une arcade sculptée de voussures en formes d'ophidiens, d'un style quasi hindou ou angkorien, qui marquait l'aboutissement de l'infecte galerie des primates naturalisés hétérodoxes. Le poil dru et jaunâtre, ce mâle impudique affichait sans vergogne une virilité ithyphallique de Priape et de satyre. Il correspondait en tout point à la description d'Adelphe-Fiacre. Ses bacchantes lui donnaient l'allure comique d'un vieux mandarin chinois amateur de nids d'hirondelles aux ongles démesurés et noirs. La bête avait aussi quelque chose du maréchal de Richelieu, l'érotomane gnome vainqueur de Mahon, sexuellement dopé aux pires aphrodisiaques charlatanesques, grimaçant et puant vieillard drogué à la poudre de cantharide! Sa main droite s'appuyait sur un bâton noueux, serpentiforme, dont la tête était façonnée à l'effigie du « dieu » Sucuriju! Il effectua des moulinets avec cette canne de commandement, tout en ouvrant une bouche affreuse dévoilant des crocs gâtés. Ce croquemitaine amazonien dégageait une pestilence à vomir, provenant à la fois de son haleine, des débris de viande et de fruits pourris lovés entre ses dents, mais aussi de sa fourrure parsemée de croûtes de boue et de crottes séchées où pullulaient les parasites! L'odeur fauve se rajoutait à la moiteur angoissante de ce corridor. Le singe parla, ou plutôt, il grogna en un langage que n'aurait pu saisir le plus attardé des Néandertaliens. Invoquait-il le grand Anaconda? A ses grognements, il me sembla que les peaux d'ophidiens qui constituaient notre tunnel immonde se mirent à bouger, à se soulever comme si elles respiraient. Elles émirent des mouvements de contorsion, de reptation, se rapprochant dangereusement de Dununkulu! Je criai à mon guide de fuir ces murs de peaux écailleuses suintantes et luisantes. Mais les ondulations de ces horreurs sorties d'un délire éthylique furent plus rapides que mon chasseur-cueilleur, pourtant expérimenté! Adhérant à Dununkulu, elles s'agglomérèrent en lui, l'étouffant et l'absorbant, insensibles aux hurlements de leur victime, bientôt broyée et digérée par ces parois carnivores! Tandis que d'innommables bruits de trituration envahissaient le corridor voussé, au bord de la nausée, j'égarai un instant mes pensées vers d'autres temps et d'autres lieux, pour ne pas succomber au spectacle!
Je pensais à une scène de taverne borgne du temps de François II, à une discussion animée et avinée de manants vêtus d'oripeaux sortis tout droit d'un tableau de Bruegel l'Ancien. Assis en cet estaminet de dernier ordre quoique bien pourvu en ribaudes, autour d'une table de mauvais bois d'une saleté effroyable digne de la cour cloaqueuse et glauque du Grand Coësre, ces rustres, bruts de décoffrage, qui ne portaient aucun sous-vêtement et dont les haillons écrus portés des mois durant sans aucune lessive grattaient leur peau crasseuse, débattaient contre les parpaillots en des propos de table plus scatologiques encore que ceux de Martin Luther! Leurs bouches aux noirs chicots crachaient de multiples particules alimentaires pourries en plus des classiques postillons. Ils étaient violents et leurs esprits échauffés par le mauvais vin voulaient passer à l'acte. Ces vils spécimens des bas-fonds du XVIe siècle étaient écartelés entre la dive bouteille, l'esprit-de-vin, l'émétique, l'hypocras et le pressoir mystique! Vous me direz que, parler de chicots noirs chez ces rustauds mal dégrossis, chez ces fanatiques populistes néo-cabochiens de la catholicité la plus extrême, c'est frôler le cliché, l'évidence, pour ne pas dire le pléonasme voire la tautologie! Évoquer des chicots blancs serait-il contradictoire au point de plonger tête la première dans la pire aporie? Leurs faces triviales, leur dentition déplorable et le musc puissant exhalé par leurs corps ne tardèrent point à me ramener à mon Améranthrope tristement réel, qui, me menaçant de son bâton, m'invita à le suivre!
Nous sortîmes de la galerie pour pénétrer dans la plus vaste des salles en étoile, volume d'une vingtaine de côtés, parfait icosaèdre au centre duquel, au lieu de l'attendu escalier, s'étalait un lac intérieur alimenté par de multiples canaux issus des bras canalisés du Rio Negro! Le sol était de terre battue mais les parois et la voûte constitués d'or fondu et de gemmes multicolores : là avait abouti le trésor des Taïnos! De la coupole pendaient des sortes de cages de bois de brésil dans lesquelles étaient enfermées et enchaînées d'improbables momies péruviennes glorieuses, à la peau tatouée, parées comme Manco Capac ou Inca Roca.
Leur longue chevelure de jais retombait de leur diadème d'or. Il y avait dans la caverne un autre cadavre que je n'eus aucune peine à identifier, à cause des restes de ses cheveux, et de sa panoplie en carapace de tatou et en peaux de serpent : Lourenço Gonzalves avait trouvé là sa dernière demeure. Il gisait, à quelques mètres de la rive du lac.
Nous n'étions pas les seuls êtres vivants de cet antre. Le lac était gardé par des personnages que je pris d'abord pour des hommes-léopards du Congo belge tant leur panoplie ressemblait à celle de ces redoutables tueurs affiliés à une société secrète, l'Aniota Kifwebe,
crainte de tous les administrateurs coloniaux et combattue par eux! Certes, ils arboraient masque d'écorce grossièrement tacheté, cagoule et tunique de fourrure, bâton dont l'extrémité reproduisait l'empreinte de la patte du fauve et griffe de fer, mais, en y regardant de plus près, on remarquait que leur déguisement correspondait en fait à la fourrure des félins sud-américains, puma, jaguar et couguar! Des aniotos d'Amazonie! Pouvais-je en croire mes yeux? Ils dansaient et chantaient, participant à un rituel en l'honneur du Sucuriju! Je saisis trop tard leur manœuvre, lorsque leur « grand prêtre » m'appréhenda : j'étais pour eux une offrande providentielle destinée à l'estomac du grand Anaconda! Cinq aniotos m'empoignèrent et je ne parvins guère à me débattre. L'Améranthropoïde, qui avait accompli sa mission, gloussa puis me donna un coup de bâton qui m'étourdit. Je ne pouvais pas finir ainsi. JE NE LE DEVAIS PAS!
Déjà, les hommes-jaguars m'avaient ligoté de lianes et s'apprêtaient à me jeter dans le lac. Un chamane, en transes, appelait en langue Mayakuli le dieu Sucuriju à venir déguster l'objet du sacrifice. Avant d'être jeté à l'eau, j'eus le temps d'apercevoir que ce grand prêtre officiait aux côtés d'une stèle funéraire sculptée, représentant l' autosacrifice d'un grand seigneur emplumé, s'offrant à Chac, Tlaloc ou Cuculcan, avec forces symboles comme celui du lotus, d'un style d'ailleurs plus maya que sud-américain, stèle ouverte sur un sarcophage royal, dressé, où reposait le squelette du grand monarque taino, masqué et recouvert d'une armure intégrale de jadéite d'un vert chatoyant du plus bel effet.
Lorsqu'on me projeta dans les eaux sombres du lac souterrain, les aniotos indiens se mirent à battre frénétiquement du tambour. La membrane de leurs instruments était faite de peaux humaines tannées et tatouées de motifs géométriques d'une énigmatique et complexe beauté. Leur exaltation était autant due à une drogue hallucinogène apparentée au peyotl, peut-être pour partie composée de chair humaine broyée, qu'à l'absorption plus que de raison d'eau de feu, de pulque ou de tequila, le vin de palme étant propre à l'Afrique sub-saharienne.
Avant de sombrer dans le néant, je vis mon prédateur colossal approcher pour m'avaler : c'était bien un serpent gigantesque, d'une longueur d'au moins douze mètres et d'un diamètre de deux! La lueur de ses yeux cruels m'aveugla, préambule à mon avalement, alors que le climax de la transe des danseurs et musiciens Mayakuli était atteint, l'immense coupole chthonienne résonnant désormais d'un brouhaha continu qui vibrait, entêtant, en mon ventre...
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« Apo! Apo! Yurumbu! Apo! »
Haopi, le chamane, constata avec désespoir que le voyageur blanc, le nouvel ami de la tribu, ne se réveillerait plus : il n'avait pas résisté à la décoction de champignons hallucinogènes. Son cœur avait lâché, après un délire déclamatoire empli d'effrayantes visions. Désolé de la perte d'un étranger qui comprenait son peuple, Hurumbubu décida que sa dépouille serait honorée à l'égal des siens. Les rites funéraires célébrés, le corps devait être rendu à l'autorité locale, à l'administration de l'Etat d'Amazonas, qui se chargerait de son rapatriement en France. Ainsi, la famille du jeune explorateur devait recevoir un cadavre parfaitement traité dans les règles traditionnelles : une poupée naturalisée et ratatinée, d'une couleur bistre clair, d'une taille de 85 centimètres, parée de plumes d'ara et de griffes de tatou, bonne pour les collections morbides d'anthropologie physique du Musée de l'Homme!
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A l'instant où mourut notre aventurier, mais à des milliers de kilomètres de là, à Palenque, au Mexique, toujours en cette année 1952, un étrange contremaître métis décéda brusquement en pénétrant dans le saint des saints de la grande pyramide de la cité maya : le tombeau du roi Pacal, qui avait régné au VIIe siècle de notre ère. Il fut retrouvé par Alberto Ruz, l'archéologue chef des fouilles, qui venait d'effectuer cette découverte majeure, au pied du sarcophage contenant la dépouille de Pacal. Le couvercle de ce tombeau était une stèle étrange représentant le sacrifice d'un haut personnage, sans doute le roi de la cité maya. Pablo Gomez, ce métis souffrant d'une alopécie intégrale, âgé d'une cinquantaine d'années, serrait convulsivement un collier de copal où étaient accrochés les restes d'une boîte crânienne de singe d'un type inconnu.
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« Monsieur, ma boule de cristal est infaillible! Elle ne peut se tromper : vous risquez la mort si vous n'y prenez pas garde! Suivez mes conseils! J'ai vu de quelle manière vous pourriez disparaître!
- Je sais que vous êtes une voyante réputée et j'ai tenu à m'assurer que mon prochain voyage dans l'Amazonie brésilienne se déroulerait sans embûches. Vous savez, c'est ma troisième expédition sud-américaine : j'ai fait la Guyane il y a quatre ans et l'Orénoque en 1950, alors...
- Je vous en conjure monsieur : n'allez pas en Amazonie! Non seulement ce voyage sera sans retour, mais, en plus de votre mort, je vois l'inconsolable chagrin d'un père, qui refusera l'évidence de la restitution de votre cadavre et partira en quête d'une chimère. Il vous croira vivant et sillonnera toute la région en vain des années durant. Si célébrité il y aura, ce sera la sienne, non pas la vôtre!
- Je vous paie, mais je ne vous crois pas. Au revoir, madame!
- Adieu donc, monsieur?
- Moffret, Léon Moffret. »
Je pris congé de la ridicule sibylle aux fringues de gitane. Comment avaler de telles sottises? J'étais désormais assez expérimenté pour voyager toujours plus loin en ces contrées fascinantes. Je notais toutefois sur mon calepin, pour me rassurer sur un environnement équatorial que je pensais moins répulsif que paradisiaque, histoire de m'inventer sentences et apophtegmes :
« La nature est neutre. En elle, il n'y a ni bien, ni mal. »
Christian Jannone.
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